par Virginie Lemieux-Labonté
Février 2016. Alors que l’hiver s’installe enfin à Montréal, je m’envole pour le Manitoba. Ma destination finale est Grand Rapids, un petit village à cinq heures de route au nord de la capitale, Winnipeg. Grâce au financement fourni par le prix d’excellence du Centre de la science de la biodiversité du Québec (CSBQ), j’ai la chance d’accompagner les membres du laboratoire du renommé professeur Craig K.R. Willis de l’Université de Winnipeg, lors de la surveillance annuelle des populations de petites chauves-souris brunes (Myotis lucifugus). Cette espèce est en péril suite au ravage du syndrome du museau blanc, une maladie d’origine fongique qui s’attaque aux individus lors de l’hibernation. Les chauves-souris du Manitoba ne sont cependant pas encore affectées par la maladie, qui peut causer un déclin de plus de 90% dans un hibernacle (site d’hibernation) [en une année?]. Je me joins à l’équipe Willis afin d’acquérir une formation de terrain et de récolter des frottis de peau de chauves-souris pour ma thèse, que je réalise à l’Université de Montréal sous la supervision du professeur François-Joseph Lapointe. Dans le cadre de mon doctorat, je m’intéresse aux microorganismes de la peau des chauves-souris (i.e. le microbiome cutané), en relation avec la maladie du syndrome du museau blanc. Mon objectif est de comparer le microbiome des populations non affectées (au Manitoba) et affectées (au Québec) afin de mieux comprendre les interactions entre le microbiome et cette maladie.
Petite chauves-souris brune en hibernation. Crédit photo: Kaleigh Joanna Olsen Norquay University of Winnipeg.
Voilà donc ce qui me mène au cœur de l’hiver manitobain par -30°C à la recherche des hibernacles de chauves-souris. Sur les motoneiges, le froid mordant ne nous permet pas de laisser un seul centimètre de peau à découvert. Le chemin n’est pas ouvert et une épaisse couverture de neige rend la conduite des motorisés périlleuse. Après quelques renversements, nous parvenons au premier hibernacle, enfin c’est ce que l’on m’indique, car rien ne montre la présence d’une telle structure. Je m’attendais à trouver une grotte à hauteur d’homme, mais voilà que l’hibernacle est en fait une cavité dans le sol et l’entrée se trouve ensevelie sous une épaisse couche de neige.
Dès lors, un rigoureux protocole est mis en place, car les spores du champignon responsables du syndrome du museau blanc peuvent être transportées et dispersées par les humains. Une aire contaminée est définie autour de l’hibernacle et aucun objet ou humain ne peut sortir de cette zone sans décontamination. Avant de pénétrer dans l’aire contaminée, nous enfilons deux combinaisons blanches qui nous couvrent de la tête aux pieds, puis une double paire de gants en latex. S’ensuit le déblayage de l’entrée, l’installation du dispositif de descente verticale, ainsi que des harnais et des casques pour les deux personnes qui pénètreront dans l’hibernacle.
Préparatifs à l’extérieur d’un hibernacle.
Bien que la descente dans l’hibernacle ne soit que de quelques mètres, l’aventure s’avère ardue considérant ma tenue hivernale et le matériel d’échantillonnage que je dois transporter. Il faut également être le plus silencieux possible afin de ne pas perturber les chauves-souris en hibernation, car les éveils nuisent à la survie des individus. Je suis abasourdie par la splendeur du lieu que je découvre. L’hibernacle est constitué de trois paliers dont le dernier se trouve à plus de 6 mètres sous moi. Dénommée Abyss, cette cavité porte définitivement bien son nom. À la lueur de ma lampe frontale, je découvre les roches qui composent les parois et qui arborent des patrons de composition fascinants. Nous sommes étrangement bien en ce lieu où la noirceur règne. La température juste sous zéro est une vraie bénédiction comparativement au froid ressenti à la surface. Tout est tellement paisible ici-bas et il me faut un bon moment avant que j’aperçoive les dizaines de chauves-souris en état de torpeur suspendues aux parois. Je parviens à trouver un petit groupe d’individus accessibles que j’échantillonne en prenant bien soin de ne pas les éveiller. Nous effectuons ensuite le décompte de la population avant de retourner à la surface, ce qui s’avère être aussi exigeant que la descente dans l’hibernacle. Avant de pouvoir passer aux prochains sites, nous devons minutieusement tout décontaminer.
Descente dans l’hibernacle Abyss.
La suite du périple a été accompagnée de son lot d’aventures, de découvertes et d’imprévus que je ne pourrais décrire en entièreté ici. Au total, j’ai accompagné l’équipe Willis dans cinq différents hibernacles et j’ai été en mesure de récolter des données d’une valeur inestimable pour mon projet. Ce terrain m’a permis d’acquérir une expérience incroyable au contact des chauves-souris en plus d’établir plusieurs projets en collaboration avec le laboratoire Willis. Je remercie le CSBQ de mettre à la disposition des étudiants les prix d’excellence et de les attribuer pour ce genre de formation sur le terrain. Cette opportunité m’a permis de me rendre sur les lieux de mes échantillonnages et de faire face aux différents imprévus qui peuvent nuire à la suite du projet. Je me suis ainsi assuré d’obtenir des échantillons de qualité qui me serviront à produire des résultats rigoureux.
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