par Audrey Sigouin
Je suis étudiante en fin de maîtrise en écologie et mon projet porte sur les effets des pesticides sur les oisillons de l’hirondelle bicolore, une espèce en déclin au Québec. Bien que je ne pense pas être une grande spécialiste du sujet, j’ai tout de même baigné (au sens figuré, heureusement) dans les pesticides dans les 2 dernières années, alors qu’ils ont fait manchettes par-dessus manchettes. Renvoi d’un lanceur d’alerte par-ci (1), ré-homologation d’une substance douteuse par-là (2), un scandale n’attendait pas l’autre. J’aimerais ici proposer un court éditorial sur ce qui a fait beaucoup jaser sur la planète pesticide dans les derniers mois au Québec.
À gauche : un champ de soya en début de saison. Plusieurs agriculteurs aspergent leur champ au glyphosate qui brûle les « mauvaises » herbes (la partie jaune sèche). Le soya, génétiquement modifié pour être résistant au glyphosate, pousse sans problème (les rangs verts).
À droite : des semences de soya enrobée de néonicotinoïde, un insecticide systémique. Le plant qui pousse est enrobée de la substance. La quasi totalité des semences de soya et de maïs vendues au Québec sont pré-enrobées, alors que études récentes montrent l’inutilité de telles substances dans la majorité des cas (3).
En septembre 2019 s’est tenue la Commission parlementaire sur les pesticides (4), dont le mandat visait à – prenez une grande inspiration – « Examiner les impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement, ainsi que les pratiques de remplacement innovantes disponibles et à venir dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, et ce en reconnaissance de la compétitivité du secteur agroalimentaire québécois ». Beaucoup de beaux mots n’est-ce pas? Nous étions sans doute nombreux (chercheurs/euses, étudiant/es gradué/es, ONG, citoyen/nes…) à espérer qu’une telle commission ouvrirait la voie à de réelles discussions et à des décisions fermes sur la réglementation des pesticides en milieu agricole. Rendu public en février dernier, le rapport a de quoi décevoir.
Celui-ci se présente sous la forme d’un document d’une trentaine de pages qui fait d’abord état de la situation des pesticides agricoles au Québec, puis qui résume les points apportés par les quelques 70 mémoires présentés à la Commission par des experts universitaires, des regroupements citoyens, des compagnies privées*, etc. On y parle des effets de ces substances sur l’environnement, sur la santé, de l’indépendance de la recherche, de la formation des futurs agronomes… Pas trop mal me direz-vous, mais là où ça corse c’est dans l’élaboration des 32 recommandations de la Commission au gouvernement. On y recommande de prendre action par rapport… à pas grand-chose finalement.
C’est sans doute le plus aberrant dans ce rapport : que les recommandations soient aussi vagues que faibles et qu’elles ne reflètent absolument pas les connaissances scientifiques sur le sujet. Un avis que partagent d’ailleurs plusieurs acteurs du milieu (5,6).
Alors que des études montrent clairement le lien entre la maladie de Parkinson et l’exposition aux pesticides (voir le mémoire déposé par Parkinson Québec et celui très touchant par M. Serge Giard), la Commission a voté contre une recommandation de considérer cette maladie comme une « maladie professionnelle », comme c’est le cas en France. Alors que le déclin des pollinisateurs est sans équivoque en partie lié à l’utilisation accrue de certains insecticides (voir le mémoire déposé par les Apiculteurs et Apicultrices du Québec), une seule recommandation propose au gouvernement « d’améliorer les connaissances » sur le sujet. Alors que la majorité des études toxicologiques sur lesquelles se base l’Agence de réglementation de la Lutte Antiparasitaire (l’ARLA, l’agence de Santé Canada qui homologue les substances actives contenues dans les pesticides) sont réalisées par les fabricants de pesticides eux-mêmes (allô le conflit d’intérêt!), on recommande une « prise en compte plus importante des études indépendantes dans l’homologation », alors que celles-ci devraient être les seules considérées par soucis de transparence.
Et j’en passe. Beaucoup. C’est particulièrement frustrant, puisque ce sont bien sûr les recommandations et non le reste du rapport qui serviront aux futures décisions. Si décisions il y a.
Maintenant, que penser de tout cela? La science est pourtant là, le gros bon sens devrait l’être aussi. Si l’Europe a pu voter l’interdiction de 3 des néonicotinoïdes les plus toxiques pour les abeilles, si l’Autriche a pu se débarrasser du très controversé Round Up, si la France a reconnu la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle chez les agriculteurs, qu’attendons-vous? Qu’attendons-nous pour parler sérieusement et sans censure de l’ingérence du privé dans les études toxicologiques, du manque d’accessibilité aux chiffres de vente de pesticides au Québec, des « agronomes-vendeurs » à l’emploi des fabricants, de l’inefficacité prouvée de plusieurs substances pourtant largement utilisées, des effets désastreux sur la biodiversité en milieu agricole, de l’omniprésence de ces substances dans nos cours d’eau et dans celle que nous buvons?
Parce que nous sommes à la fois des scientifiques passionné/es de biodiversité et des citoyen/nes concerné/es, ce sujet nous concerne tous et toutes.
Il faudra du courage et de la fermeté, mais je pense que le Québec est rendu là.
Voici ma recommandation personnelle : soyez audacieux et osez critiquer.
*Je tiens tout de même souligner que malgré le fait que plusieurs mémoires aient été déposés par des fabricants de pesticides, la Commission n’en a reçu aucun pour témoigner en audition. Encore heureuse.
3 Labrie G, Gagnon A-È, Vanasse A, Latraverse A, Tremblay G (2020) Impacts of neonicotinoid seed treatments on soil-dwelling pest populations and agronomic parameters in corn and soybean in Quebec (Canada). PLoS ONE 15(2): e0229136. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0229136
4 Pour consulter les mémoires, le verbatim et le rapport de la Commission, consultez la page suivante :
http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/capern/mandats/Mandat-40773/index.html
5 Entrevue de M. Onil Samuel, conseiller scientifique à la retraite de INSPQ
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1531766/reaction-recommandations-commission-pesticides-sante-publique
6 Réactions de témoins à la Commission suite à la publication des recommandations
https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/202002/19/01-5261658-commission-sur-les-pesticides-ils-auraient-pu-aller-plus-loin.php
Audrey Sigouin est étudiante à la maîtrise en écologie sous la direction de Fanie Pelletier et Marc Bélisle à l’Université de Sherbrooke. Elle s’intéresse aux effets de l’exposition aux pesticides agricoles et aux parasites sur la physiologie des hirondelles bicolores. Ses intérêts de recherche concernent l’écophysiologie et l’écotoxicologie et elle est passionnée par le travail sur le terrain. Elle a aussi été représentante globale des étudiant/es du CSBQ de janvier 2018 à décembre 2019.
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