Par Raphaëlle Fréchon, Étudiante en doctorat à l’Université du Québec en Outaouais
Pour plusieurs, l’été est la saison des sorties en plein air…mais pour les propriétaires canins, planifier des activités en nature peut être compliqué puisqu’ils seront butés à plusieurs restrictions et interdictions. Certains applaudissent ces initiatives, d’autres les boudent. La cohabitation faune – animaux de compagnie est un débat qui peut être épineux. Ce billet qui portera uniquement sur le cas des chiens, se veut un état des lieux et une amorce pour susciter des réflexions plus approfondies.
Tout d’abord, j’aimerais déclarer mon impartialité : Je suis biologiste et propriétaire d’un chien et d’un chat. Mon quotidien est teinté de questionnements associés au bien-être animal, tant chez les animaux domestiques, d’élevage et sauvages ainsi qu’à la place prise par les humains dans la nature. J’anthropomorphise probablement très souvent mes deux compagnons, mais tente de demeurer critique et objective lorsque je m’informe à leur sujet.
Les humains ont domestiqué plusieurs animaux, dont ceux de compagnie. Ceux-ci ont évolué avec nous et nous héritons aujourd’hui de cette relation privilégiée. Il est de mon avis que nous avons une responsabilité collective de veiller à leur bien-être; que nous soyons pour ou contre la présence ou même l’existence d’animaux domestiques. Ces derniers dépendent de nous d’une certaine façon et ne devraient pas être laissés à eux-mêmes, ni négligés. Toutefois, nous vivons avec le paradoxe de la biophilie, où le préjugé favorable envers certains animaux domestiques en menace d’autres (Christie 2020). La présence d’animaux de compagnie est en effet non négligeable; on retrouve plus d’animaux de compagnie que d’habitants en Amérique du Nord (Christie 2020).
La biodiversité est en déclin mondialement pour trois raisons majeures : les changements climatiques, la pollution et la perte d’habitat (Doherty et al. 2016; Hilty et al. 2020). Globalement, les chiens sont considérés comme le troisième prédateur le plus envahissant et dommageable après les rongeurs et les chats, bien que cette statistique touche principalement les chiens errants (Doherty et al. 2016). La présence de chiens, incluant en laisse, rend les animaux sauvages alertes et les incite à se cacher. Conséquemment, ils fréquentent moins leur territoire s’ils détectent leur présence, ce qui réduit la taille ou la qualité de leur habitat (Hennings et Park 2016; Lafferty 2001). La présence de chiens n’est certainement pas le seul problème pour la biodiversité, mais peut contribuer aux impacts multiples et cumulatifs. Par exemple, un lapin qui prend la fuite contre un chien amusé dépensera beaucoup d’énergie et risquera de se blesser, ce qui pourrait affecter sa survie.
De plus, les chiens peuvent perturber l’équilibre des milieux naturels en les surchargeant de nutriments lorsque leurs excréments ne sont pas ramassés (De Frenne et al. 2022). Dans un écosystème naturel, les nutriments sont recyclés dans la chaîne alimentaire. Les croquettes d’animalerie ne font pas partie de cet écosystème local et ajoutent une charge nutritive, en phosphore notamment. Par ailleurs, les excréments peuvent être vecteurs de résistance aux antibiotiques (Yang et al. 2022) et d’indésirables comme E. coli, le parvovirus, la rage, les vers ronds, etc; (Carattoli et al. 2005; Gagnon et al. 2016; Ghaffar 2015; Ghasemzadeh et Namazi 2015; Hennings et al. 2016 d’où l’importance de toujours avoir un (ou quatre) petits sacs et de les conserver avec soi pour en disposer convenablement.
Toutefois, la cohabitation chien-biodiversité nécessite une prise en compte de différents éléments, incluant les besoins canins (Banks et Bryant 2007). Avec davantage d’endroits désignés aux usages et permissions variés, on justifierait mieux l’exclusion de chiens à des endroits clés (Banks et Bryant 2007; CIME Haut-Richelieu 2019; Stigner et al. 2016). Autrement dit, de meilleures infrastructures canines limiteraient peut-être les infractions en milieux naturels protégés.
D’un point de vue du comportement canin, tous les chiens ont besoin d’exercice et de faire travailler leur cerveau (Boonhoh et al. 2024 ; Krichbaum et al. 2023). Ces activités réduisent le stress, les stimulent mentalement et contribuent à leur santé (Boonhoh et al. 2024; Flint et al. 2013; Lofgren et al. 2014). Pour l’humain moyen, certaines de ces activités, comme aller chercher une balle, sont vues comme candides et attendrissantes, alors qu’elles sont qualifiées d’enrichissement et améliore leur bien-être (Kleiman et al. 2010).
Au Québec, il est interdit de se promener avec son chien sans laisse dans les endroits publics (Gouvernement du Québec, 2024). Les propriétaires canins ont donc recours aux parcs à chiens publics ou à un terrain privé. Les parcs à chiens ne conviennent pas à tous, humain comme chiens; certains chiens sont craintifs, malades ou en attente d’être stérilisés. Rappelons également que tous les transports en communs n’acceptent pas les chiens. L’alternative du terrain privé est inaccessible pour beaucoup de personnes. Certes, plusieurs établissements de plein air, ainsi que de nombreux parcs nationaux acceptent les chiens en laisse, mais il y a un manque important de milieux adaptés permettant aux chiens de se dépenser pleinement qui soient largement accessibles.
Or, des alternatives plus permissives existent ailleurs au Canada. Dans d’autres provinces canadiennes comme en Nouvelle-Écosse, les chiens sont permis pendant certaines périodes dans les terrains de baseball mais doivent être en mesure de répondre à des commandes vocales (Halifax Regional Municipality, 2018). En Colombie-Britannique, presque toutes les offres d’activités de plein-air ont une alternative permettant les chiens comme des plages, parcs et restaurants (BringFido, 2024). Certains milieux naturels accueillent partiellement les selon les périodes de nidification par exemple (Comox Valley Regional District, 2024).
Les principaux arguments contre des initiatives permissives incluent généralement les allergies, la peur et l’irresponsabilité. Ces problèmes sont réels et à prendre en compte mais ne justifient pas l’inaction. Créer des espaces sains pour une meilleure cohabitation chien-population-biodiversité procurera de nombreux bénéfices. Des aménagements diversifiés et avec plus d’attributs naturels (ombre, eau, arbres) permettraient de justifier l’interdiction d’accès aux chiens dans certains sites où la nature est particulièrement sensible et ainsi prévenir une dégradation généralisée. La situation actuelle – où bon nombre de chiens sont sous-stimulés et anxieux – n’est pas enviable et nous pouvons faire mieux. Les bénéfices des animaux de compagnie pour la santé mentale, contrer l’isolement, favoriser l’exercice physique et la santé en général ne sont plus à prouver (Angliss et al. 2021; Kwong et Bartholomew 2011; Wells 2007). Nous avons, selon moi, un devoir envers la faune sauvage avec laquelle nous cohabitons, tout comme la faune domestiquée par nos ancêtres.
À propos de l’auteure :
Raphaëlle Fréchon est candidate au doctorat à l’Université du Québec en Outaouais, sous la supervision de Jérôme Dupras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique. Elle travaille sur les retombées de l’approche par services écosystémiques pour la conservation des milieux naturels. Ses assistants, Miu Miu et Taïga veillent à ce qu’elle soit assidue au travail de sa thèse et qu’elle marche suffisamment au quotidien.
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Profil étudiant CRCEE: https://www.crcecoeco.ca/a-propos/equipe-chaire/
Références
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Banks, P. B., & Bryant, J. V. (2007). Four-legged friend or foe? Dog walking displaces native birds from natural areas. Biology letters, 3(6), 611-613.
Boonhoh, W., Saramolee, P., Sriphavatsarakom, P., Amaek, W., Waran, N., & Wongtawan, T. (2024). Preference of dogs towards feeding toys made of natural rubber, and their potential to improve canine behaviour: A study based on owners’ observations. Applied Animal Behaviour Science, 270, 106142.
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Carattoli, A., Lovari, S., Franco, A., Cordaro, G., Di Matteo, P., & Battisti, A. (2005). Extended-spectrum β-lactamases in Escherichia coli isolated from dogs and cats in Rome, Italy, from 2001 to 2003. Antimicrobial agents and chemotherapy, 49(2), 833-835.
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CIME Haut-Richelieu. (2019). Enjeu : Les chiens. http://cimehautrichelieu.qc.ca/wp-content/uploads/2019/06/Fiche7.Chiens.pdf
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