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Recit de voyage : Parlons de dispersion sur les berges de la Vltava – retour sur la conférence 2024 de la Société Internationale de Biogéographie

Par Paul Savary, Post-doctorant à Concordia University

En janvier 2024, j’ai eu le plaisir de voyager depuis Montréal jusqu’à Prague, troquant l’hiver québécois pour le froid matinal non moins piquant de l’Europe centrale. Une fois mon horloge biologique calée sur le rythme de l’horloge astronomique de la capitale historique de la Bohême, j’ai profité de la 11ème conférence biennale organisée à merveille par les membres locaux de la Société Internationale de Biogéographie (https://www.biogeography.org/). Le comité d’organisation nous a reçu.e.s chaleureusement au centre des congrès qui surplombe cette ville riche en histoire et baignée par la rivière Vltava. J’ai jugé ces quelques précisions géographiques nécessaires avant d’aborder les travaux d’écologie des communautés que j’ai présentés lors de ce congrès bis-annuel dédié à la biogéographie. Cette discipline s’intéresse en effet à la distribution spatiale des espèces et des écosystèmes. Comprendre les facteurs déterminant la composition des communautés d’espèces est donc partie intégrante des recherches menées dans ce domaine.

“Musiciens tchèques” de la place Senovážné à Prague. Chacune des quatre statues de musicien représente un fleuve du monde, à savoir l’Amazone, le Danube, le Mississippi et le Gange.

Avant de présenter mes propres travaux, j’ai assisté à des présentations passionnantes concernant la biodiversité insulaire, les particularités biogéographiques de la faune urbaine, des exceptions aux régularités biogéographiques les plus établies, et bien d’autres. Toujours accompagnées d’échanges respectueux et stimulants, ces présentations mettaient en évidence la vitalité de ce large champ d’étude. Près de deux siècles après Humboldt, Darwin et Wallace, la biogéographie a indéniablement encore du grain à moudre. Le volume de données disponibles et la taille de la communauté scientifique permettent une diversification fascinante des questions posées et des méthodes mises en œuvre pour y répondre.

J’ai modestement apporté ma pierre à l’édifice en présentant par le biais d’une affiche les travaux que j’ai menés concernant les réseaux de dispersion. Face à un public fortement stimulé pendant plusieurs jours, mon objectif était de faire passer un message simple : l’hétérogénéité spatiale des réseaux de dispersion est trop souvent un angle mort des recherches en écologie des communautés et de leur traduction en stratégies de conservation.

En effet, le réseau de chemins suivi par les espèces lorsqu’elles se dispersent pour coloniser des habitats au sein d’un paysage est pareil aux réseaux de transport que nous empruntons au quotidien. Les cartes que l’on en fait sont complexes car les lieux sur lesquels nous nous rendons ne sont pas répartis de façon régulière dans l’espace. Ils ne se situent pas aux intersections d’un parfait quadrillage, mais dépendent bien plutôt de la topographie de nos territoires et de nos choix d’aménagement. Les habitats occupés par les espèces n’échappent pas à cela et forment des motifs complexes, en fonction de l’hétérogénéité du paysage (cf. axe vertical de la figure). Par ailleurs, nous ne pouvons ni ne souhaitons pas toutes et tous nous déplacer aussi loin chaque jour, ni de la même façon. Nous n’empruntons donc pas les mêmes chemins de déplacement, certain.e.s préférant le vélo ou la marche aux sièges des bus et métros de nos cités. De la même manière, toutes les espèces n’ont pas les mêmes capacités de dispersion et ne peuvent donc pas emprunter les mêmes chemins de dispersion (hétérogénéité des capacités de dispersion, décrite par l’axe horizontal de la figure). Ainsi, décrire le réseau de dispersion des espèces peut difficilement se faire de façon réaliste en dessinant une grille régulière et monochrome, censée capturer le déplacement de tout un cortège d’espèces. L’image d’un enchevêtrement multicolore de pelotes de laine serait en réalité bien plus appropriée pour décrire l’hétérogénéité des réseaux de dispersion. Chaque couleur correspondrait alors à une espèce et les courbes du fil de laine à la complexité de ses déplacements.

La structure spatiale complexe des réseaux de dispersion laisse une empreinte notable sur la diversité des communautés. De précédents travaux l’ont montré et j’ai tâché d’en résumer les conclusions, tout en fournissant une feuille de route à la communauté scientifique pour en explorer davantage les implications. Il s’agit en effet de comprendre à quel point cette empreinte des réseaux de dispersion ne biaise pas les conclusions concernant d’autres déterminants importants de la diversité, tels que les interactions entre espèces ou les paramètres environnementaux. J’ai aussi mis l’accent sur le fait que ces effets constituaient un défi pour les statisticien.ne.s qui visent à quantifier leur influence et à la distinguer d’autres influences ; non sans solutions néanmoins. Enfin, j’ai insisté sur l’importance de la prise en compte de ces réseaux pour orienter nos choix de conservation de la biodiversité à l’échelle des paysages. 

J’ai été ravi de discuter avec de nombreux interlocuteur.ice.s à cette occasion. Les questions qu’ils et elles m’ont posées étaient toujours pertinentes et ont donné lieu à des échanges motivants pour la suite de mes travaux.

L’obtention d’un Prix d’Excellence du CSBQ a rendu toutes ces rencontres et ces échanges possibles. Je remercie donc le CSBQ d’offrir à ses membres un tel soutien pour enrichir leurs réflexions et interactions scientifiques. Ce soutien est tout à fait précieux et d’autres sociétés savantes, comme ici la Société Internationale de Biogéographie (IBS), en bénéficient en retour. Je ne peux que recommander aux écologistes du Québec, et d’ailleurs, de participer aux conférences de l’IBS. La prochaine aura lieu à Aarhus au Danemark en 2026. Continuons de faire vivre nos communautés scientifiques !

A propos de l’auteur : Paul Savary est post-doctorant en écologie spatiale et quantitative dans le Département de Biologie de l’Université Concordia à Montréal. Il travaille sur les réseaux spatiaux de dispersion des espèces avec les professeurs Pedro Peres-Neto et Jean-Philippe Lessard. Ils ont publié les travaux décrits dans ce billet dans un article que les lecteurs et lectrices peuvent retrouver ici : https://doi.org/10.1016/j.tree.2023.10.002

Post date: June 13, 2024

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