Par Alexandre Demers-Potvin, étudiant au doctorat à l’Université McGill
J’ai vécu les deux derniers mois de mon été 2023 en Alberta, où j’ai étudié toutes sortes de créatures disparues pour ma thèse de doctorat en paléoécologie dans le laboratoire de Hans Larsson à l’Université McGill. L’objectif principal de ma recherche est de comprendre comment la riche faune du Parc provincial Dinosaur a changé à travers deux millions d’années vers la fin de la période Crétacé, à une époque où le niveau de la mer qui recouvrait déjà le milieu de l’Amérique du Nord a augmenté constamment. Comment les communautés terrestres et aquatiques dominées par des dinosaures, mais aussi des tortues, des crocodiles et des poissons, se sont-elles adaptées à ce changement environnemental? Quelles leçons pouvons-nous donc tirer de cet écosystème évoluant à un rythme relativement lent pour les défis auxquels la biodiversité actuelle fait face? Pour ce faire, je dois situer autant de spécimens fossiles que possible dans le temps représenté par les badlands du Parc provincial Dinosaur, ce qui me permettra de retracer des tendances dans la diversité locale et/ou la structure de réseaux alimentaires du passé. Les données sur les spécimens proviennent des musées que j’ai visités cet été en Alberta et leur emplacement dans le temps sera révélé par un modèle 3D du Parc entier (dont la réalisation est en cours) où il est possible de distinguer des couches de roches sédimentaires qui se succèdent au fil de millions d’années. Tout squelette ou os individuel dont on a les coordonnées géographiques précises peut donc être situé dans l’espace et dans le temps et ainsi contribuer à mon projet!
Durant la première partie de mon voyage, j’ai visité les collections du Laboratoire de paléontologie des vertébrés de l’Université de l’Alberta à Edmonton et du Musée Royal Tyrrell de paléontologie à Drumheller afin d’ajouter des douzaines de spécimens à ma base de données du Parc provincial Dinosaur. Ces visites étaient aussi une bonne occasion pour créer des modèles 3D de crânes et de squelettes pour des projets de recherche connexes à saveur plus anatomique qu’écologique en collaboration avec Louis-Philippe Bateman, un étudiant au baccalauréat à McGill très impliqué dans notre laboratoire. Nous avons donc scanné plusieurs spécimens à l’aide d’un scanner qui enregistre la surface externe de n’importe quel objet, dont le modèle 3D apparaît en direct sur l’écran d’un ordinateur qui y est connecté. Ainsi, nous avons maintenant une version digitale d’un squelette quasi complet d’un champsosaure, un lointain cousin des crocodiles actuels qui peuplait l’Amérique du Nord vers la fin du Crétacé. Ce modèle nous permettra d’estimer la masse corporelle de ce type de reptile aquatique pour la toute première fois et de la comparer à celle de crocodiles de taille (et possiblement de mode de vie) semblables.
Nous avons également scanné un des seuls crânes quasi complets d’un bébé dinosaure, toutes espèces confondues! La reconstitution de ce crâne de cératopsien (un des ‘dinosaures à face cornue’) nous permettra de comparer la force de morsure des juvéniles de cette espèce à celle des adultes et ainsi de déterminer si leur régime alimentaire changeait au cours de leur croissance.
Nous avons même pu scanner des squelettes entiers de reptiles marins qui auraient dépassé 10 m de longueur, soit un autobus scolaire moyen! Encore une fois, ces squelettes seront reconstitués avec leurs muscles potentiels afin de procurer une piste supplémentaire vers des estimations de leur masse corporelle et de leur régime alimentaire dans la mer intérieure qui recouvrit éventuellement l’emplacement actuel du Parc provincial Dinosaur.
Durant la deuxième partie du voyage, nous avons quitté la civilisation des musées afin de joindre la cohorte du cours annuel estival de paléontologie des vertébrés menée par mon directeur de thèse, le professeur Hans Larsson, au Parc provincial Dinosaur. J’ai résidé cinq semaines à Edmonton et Drumheller avant de me rendre à cette destination finale et l’attente en valait la peine! Au cours de deux semaines et demie passées avec une vingtaine de collègues et d’étudiantes au baccalauréat, nous avons découvert deux gros crânes de dinosaures herbivores, des feuilles d’arbres fossilisées, quelques-uns des premiers fossiles d’insectes connus de toute l’histoire du Parc, ainsi que de multiples os de tyrannosaures et autres dinosaures carnivores et omnivores.
Parmi les tentes, le plâtre, les pelles et les marteaux, nous avions aussi sept drones à portée de main afin de prendre des milliers de photos aériennes successives du terrain. Je suis présentement en train d’assembler ces images par photogrammétrie afin de former un modèle 3D géolocalisé du paysage qui servira à cartographier la répartition de toutes les espèces de dinosaures et autres créatures éteintes qui formaient l’ancienne communauté du Parc provincial Dinosaur à travers 2 millions d’années. Une fois cette reconstitution achevée, je pourrai localiser tous les spécimens que j’ai répertoriés plus tôt cet été en créant un Système d’information géographique pour ce site de fossiles unique au monde.
En somme, le prix d’excellence du CSBQ que j’ai reçu cette année a contribué à me permettre de résider en Alberta durant la majeure partie de cet été et ainsi de recueillir des données essentielles au succès de ma thèse de doctorat sur la communauté éteinte du Parc provincial Dinosaur.
L’auteur : Alexandre Demers-Potvin est un étudiant au doctorat en biologie à l’Université McGill dans le laboratoire du Dr. Hans Larsson. La curiosité qu’il porte pour la préhistoire dès son plus jeune âge l’a désormais mené à la recherche de dinosaures et d’autres créatures disparues sur trois continents, des badlands de l’Alberta aux sables du Sahara nigérien en passant par les Andes de Colombie. Pour sa thèse, il est en train de retracer les changements dans la structure de la communauté qui évolua dans le Parc provincial Dinosaur en Alberta d’il y a environ 74 à 76 millions d’années, vers la fin de l’ère des dinosaures.
Instagram: @globesaurus
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