par Marie-Hélène Carignan
En tant qu’étudiante en biologie marine, je ne peux plus compter le nombre de fois où on m’a demandée comment vont les baleines et les poissons. Si je dis que j’ai travaillé dans l’Arctique, les gens m’imaginent dans une tente sur la banquise et si j’annonce que j’ai fait un séjour au Panama, ils m’imaginent sur une péniche ou sur une plage paradisiaque tous les jours. La réalité est que, pour une biologiste en écophysiologie marine, séjourner en Arctique ou au Panama revient presque du pareil au même!
On voit si souvent dans les documentaires des biologistes en aventuriers qui explorent la nature et obtiennent leurs résultats simplement en sentant les jonquilles, je ne peux m’empêcher de rire (jaune) à chaque fois. Certes, j’ai eu la chance de visiter des endroits incroyables grâce aux projets auxquels j’ai participé, mais laissez-moi vous présenter la réalité de mes séjours de terrain en tant qu’étudiante en écophysiologie marine.
D’abord, la planification est pour le moins différente du typique voyage de vacancier. Les bagages techniques coûtent au minimum dix fois le prix de mon bagage personnel et les assureurs ont toujours besoin de chercher sur Google où exactement se trouve ma destination pour savoir s’ils peuvent me couvrir. Aller dans l’Arctique ou sur une petite île au Panama, c’est du pareil au même!
Ensuite vient le temps de se rendre à la fameuse destination et découvrir mon environnement pour les semaines palpitantes à venir. J’arrive sur les lieux, l’excitation de l’arrivée et l’exténuation du transport est à son comble; c’est toujours un grand et bref soulagement d’arriver à bon port en un morceau et avec tout ce qu’il me faut. Toutefois, il n’y a pas de vrai repos pour les valeureux, puisque très souvent l’échantillonnage et la mise en place des équipements commencent très tôt après mon arrivée. Après tout, il faut optimiser mon court séjour pour obtenir les meilleures données possibles, donc pas le temps de profiter de l’endroit avant d’avoir fini mes tâches prioritaires. Aller dans l’Arctique ou sur une petite île au Panama, c’est du pareil au même!
Puisque je suis plutôt formée en physiologie, l’expression ‘obtenir des données’ revient essentiellement à faire du laboratoire, ou plutôt du container dans certains contextes. Mise à part la température de l’eau (3°C dans l’Arctique ou 28°C au Panama), une salle de bassin sans fenêtre et qui amplifie l’écho de l’eau qui coule constamment dans les systèmes expérimentaux, dans l’Arctique ou sur une île au Panama, c’est du pareil au même!
Il est difficile d’imaginer les paysages qui se cachent derrière quatre murs sans fenêtre. Sauriez-vous distinguer la photo prise au Panama de celle prise à Svalbard?
Heureusement, j’ai eu l’occasion d’échantillonner mes spécimens moi-même dans leur environnement – donc là, oui, l’Arctique ou le Panama, c’est très différent. Je n’irais pas chercher mes copépodes en apnée dans l’eau en Arctique et un filet à plancton n’est pas très utile pour échantillonner les ophiures cachées dans les récifs de corail. Ces superbes sorties de quelques heures sont mes moments BBC comme je les appelle; c’est le temps de sortir mes grands airs d’exploratrice de la nature sauvage… mais pas trop longtemps, les organismes doivent être rapportés dans le système expérimental le plus tôt possible, la Science n’attend pas!
Il faut l’avouer, certaines expériences demandent plus d’investissement que d’autres en temps et en énergie; travailler sur des spécimens vivants n’est pas le type le plus économique. Mettre en place une méthode de mesures physiologiques prend aussi du temps en fonction des différents paramètres que l’on souhaite mesurer, tout ceci est une recette pour passer énormément de temps dans le fameux container. Aller dans l’Arctique ou sur une île au Panama, c’est du pareil au même!
Puis au final, les données que j’obtiens sur le terrain sont rarement concluantes en elles-mêmes, tout bon scientifique sait très bien que le traitement de données et les analyses qui suivent les prélèvements sont des procédures déterminantes. À ce stade, peu importe d’où proviennent les données, qu’elles viennent de l’Arctique ou d’une île au Panama, c’est du pareil au même!
Malgré tout, pour ceux qui sentent l’appel de l’aventure, les séjours de terrain sont des expériences inestimables. Selon les domaines de la biologie, il est évident que la portion réellement passée sur le terrain varie énormément. Je m’estime très chanceuse d’avoir pu profiter, entre mes séances de container, des paysages à couper le souffle à Svalbard ou encore d’observer une faune tropicale fascinante. Sans nier tous les défis de la vie d’étudiants.es en sciences, il faut bien reconnaître que ces expéditions sont un joli privilège et que chacune est finalement… unique!
Ny-Ålesund, Svalbard, est un environnement incroyable autant pour la recherche que pour les yeux… ce qui ne rend pas toujours attrayant la perspective de s’enfermer entre quatre murs sans fenêtre pendant souvent plus de 10 heures par jour.
La faune de Isla Colon au Panama est pour le moins différente de celle du Québec! Il est encore plus difficile de trouver les paresseux dans la nature qu’au Biodôme de Montréal.
Marie-Hélène Carignan est étudiante à la maîtrise en biologie à l’Université du Québec à Rimouski. Dans le cadre de son cheminement académique à l’UQAR et à l’UiT the Arctic University of Norway, elle a pu développer une passion pour les sciences marines, principalement dans l’environnement Arctique, tout en cultivant un intérêt particulier pour les questions éco-évolutives chez les invertébrés marins. C’est entre autres ce dernier qui l’amena à collaborer avec le Smithsonian Tropical Research Institute pour explorer une première fois les organismes benthiques tropicaux, soit l’antithèse de son sujet de maîtrise sur les organismes planctoniques arctiques.
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