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La subjectivité au service de la biodiversité !

par Ann Lévesque

Grâce à l’obtention du Prix d’excellence CSBQ, j’ai eu l’honneur d’aller présenter mes résultats de recherche à la conférence de l’Association canadienne des ressources hydriques (ACRH) intitulée “Our Common Water Future : Building Resilience Through Innovation” qui se déroulait à Victoria, BC du 28 mai au 1er juin 2018. Cette association regroupe des chercheurs canadiens de diverses disciplines, des professionnels et aussi des gens en provenance de l’industrie intéressés par les différents enjeux rattachés à ressource en eau.

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Crédit : Drew Farwell de Unsplash

Durant cette conférence, le saumon du Pacifique et son habitat étaient au cœur des discussions formelles et informelles entourant les négociations du renouvellement du Traité du fleuve Columbia qui de se déroulait à Washington cette semaine-là. Ce Traité, signé entre le Canada et les États-Unis et entré en vigueur en 1964, vise à gérer le niveau de l’eau du fleuve Columbia pour subvenir aux besoins énergétiques des deux pays et à contrôler les inondations en aval. Pour y arriver, trois barrages ont été construits provoquant ainsi des changements majeurs sur l’écosystème du fleuve et du territoire habité en grande partie par la Nation Ktunaxa, la Nation Syilx et la Nation Secwepemc. Ces dernières n’ont d’ailleurs reçu aucune compensation dans ce Traité et n’ont pas été invitées lors des renégociations, ce qui va à l’encontre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Lors de cette conférence, j’ai pu en apprendre davantage sur la gouvernance de l’eau en Colombie-Britannique et sur les préoccupations des différentes parties prenantes en lien avec la gestion du saumon du Pacifique. Ce fut très intéressant d’entendre les différentes perceptions des gens vis-à-vis cette ressource. Ça me fascine en fait ! Certains d’entre eux m’affirmaient que le saumon du Pacifique était très résilient et d’autres insistaient sur l’urgence d’agir pour maintenir la population très fragilisée. Ainsi chacun des acteurs impliqués dans la gestion de cette ressource avait des préférences sur comment cette dernière devrait être utilisée, conservée ou développée. Cette diversité de perceptions parmi un ensemble d’une population crée des systèmes socio-écologiques dynamiques et complexes dont il est important de s’y attarder pour mieux se comprendre les enjeux environnementaux actuels.

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Ann qui observe la plaine inondable du lac Saint-Pierre

Lors de ma maîtrise, je me suis intéressée à la dimension humaine de la science de la biodiversité. Un des objectifs de mon projet fut de caractériser les différentes perspectives sociales entourant la cohabitation des usages agricoles et celles destinées à la conservation de la plaine inondable du lac Saint-Pierre, un site RAMAR et une réserve de la biosphère de l’UNESCO, située au cœur du fleuve Saint-Laurent. Pour y arriver, j’ai utilisé la méthode Q, une méthodologie à la fois quantitative et qualitative développée par un psychologue et physicien, William Stephenson, intéressé par l’étude de la subjectivité.  L’analyse des données peut se faire avec le logiciel libre PQMethod (version 2.11) de Schmolck (disponible en ligne) ou la librairie qmethod (version 1.5.4) de Zabala dans R.

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Exemple d’arrangement Q – classement des énoncés

En premier lieu, la méthode Q demande aux chercheurs d’élaborer une liste d’énoncés rattachée à un sujet d’étude à laquelle des répondants sont invités à classer l’ensemble des énoncés, dans une grille-réponse dotée d’une échelle d’appréciation, et à commenter par la suite le raisonnement de leur classement respectif (arrangement Q). L’objectif de cette méthode consiste à réduire l’éventail des points de vue représentés dans les arrangements Q individuels à un nombre restreint d’arrangements archétypes. Ces derniers capturent les aspects clés des variations parmi l’ensemble des arrangements Q individuels visant ainsi à conduire à l’association d’opinions qui se ressemble. Les arrangements archétypes ressortis lors de l’analyse représentent les différentes perspectives sociales présentes parmi les répondants enquêtés. Celles-ci permettent notamment d’identifier les valeurs clés, les zones de divergence et de convergence propres à une sujet d’étude dans le but de favoriser la communication entre les parties prenantes.

Depuis les dernières années, cette méthode a gagné beaucoup de popularité auprès de chercheurs souhaitant mieux comprendre les différentes opinions des parties prenantes sur divers enjeux environnementaux (développement minier ou énergétique, instauration d’aire protégée, conflit de conservation, cogestion des ressources naturelles, préférences environnementales dans le but d’instaurer des paiements pour services écologiques…). C’est un outil très efficace qui vaut la peine d’être exploré si la dimension humaine de la biodiversité vous intéresse ! C’est aussi une méthode ludique dans laquelle les participants ont du plaisir à participer. Bien que l’utilisation d’énoncés soit le médium le plus utilisé dans le cadre de cette méthodologie, sachez qu’il est également possible d’utiliser des images de paysage, des photos du règne animal ou végétal, des adjectifs pour conduire ce test auprès d’une population afin de connaître les différentes perceptions vis-à-vis un sujet d’étude. La méthode Q peut aussi être combinée avec d’autres méthodologies (entrevue semi-dirigée, groupe de discussion, modélisation d’accompagnement…) pour accompagner le chercheur dans sa recherche. Pour les personnes intéressées par cette méthodologie, je vous invite à visiter le site https://qmethod.org, une association internationale regroupant des chercheurs de divers horizons.

Ann Lévesque est candidate au doctorat au département des sciences naturelles à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et membre du Laboratoire d’économie écologique du professeur Jérôme Dupras. Elle détient une maîtrise de l’UQO, un baccalauréat en sciences environnementales et agronomiques de l’Université McGill et une attestation de 2e cycle en éducation relative à l’environnement (ÉRE) de l’UQAM. Ses intérêts de recherche portent sur les systèmes socio-écologiques, les conflits de conservation, les services écologiques, les représentations sociales et la gouvernance environnementale.

Post date: March 11, 2019

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