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La survivance des valeurs culturelles de la biodiversité chez les shuar de l’Amazonie équatorienne

par Francisco Neira

L’étude de la valeur de la biodiversité par la science occidentale a établi deux dimensions dominantes pour la décrire : une économique et une autre écologique. Ces deux dimensions ont été largement étudiées et appliquées. Cependant, une troisième dimension de sa valeur, celle culturelle, est moins évidente et plus difficile à établir et en conséquence elle a été peu étudiée et appliquée. Ma réflexion doctorale cherche à comprendre l’expression des valeurs culturelles à travers des pratiques de subsistance d’une des « premières nations » de l’Équateur : les shuar. Avec cet objectif et avant de commencer ma deuxième session de terrain en territoire shuar en Amazonie équatorienne, la « première rencontre nationale d’ethnobiologie » (organisée à Riobamba, Équateur) était une excellente possibilité pour confronter mes résultats préliminaires « au vrai monde ».

Le prix d’excellence du CSBQ m’a permis de me rendre à cette rencontre afin de discuter de mes réflexions avant de commencer ma deuxième session de terrain. Les shuar sont un peuple préincasique et précolombien qui résiste encore et toujours aux envahisseurs. De manière analogue à celle des Romains pour le village gaulois dans la bande dessinée, l’occident a développé suite à l’arrivé des espagnols une image pour l’identité des shuar : des guerriers  irréductibles, qui coupaient et réduisaient les têtes de ses ennemies et vivaient en harmonie idyllique avec la nature. À présent, les shuar se perçoivent à eux-mêmes ainsi, comme un « peuple d’hommes forts » fiers de sa culture et de ses traditions, utilisant raisonnablement la nature à son bénéfice, mais qui reste conscient des défis et ouvert aux opportunités posées par l’avancement de la culture occidentale. Ces deux facettes de leurs cultures cohabitent et façonnent la réalité shuar.

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La culture shuar fait partie de la nature et la nature fait partie de la culture shuar.

Dans ce contexte de strates culturelles superposés, certaines traditions et valeurs culturelles des shuar ont bel et bien survécu à l’avancement, parfois totalisateur, de la culture occidentale. Ces survivances culturelles ont résisté aussi, avant l’avènement d’Occident, à la fois à la brève colonisation incasique de l’Équateur et aux 300 ans d’occupation espagnole. En conséquence, elles ont traversé plusieurs strates culturales et s’expriment encore à travers certaines de leurs pratiques de subsistance qu’ils ont accepté de discuter avec moi et m’ont permis d’observer. Beaucoup d’entre elles expriment des valeurs culturelles qu’ils octroient à la biodiversité. Par exemple, deux de leurs fêtes traditionnelles sont encore célébrées aujourd’hui. La fête de la chonta, un palmier qui apporte plusieurs produits et dont le moment de fructification détermine le temps de l’abondance et le temps de pénurie dans leurs territoires; et la fête de la culebra (du serpent) laquelle célèbre la force d’un survivant qui a été mordu. La religion dominante maintenant est le catholicisme, cependant leurs divinités traditionnelles et leurs mythologies restent fortement associées à la nature et sont toujours respectées et chéries.

Toutes ces survivances traversent les strates culturelles grâce à la transmission des connaissances écologiques traditionnelles. Les enfants écoutent attentivement les histoires racontées par les adultes au moment du partage familial autour du feu et les accompagnent à travailler dans l’aja (la ferme), à chasser et à pêcher. Ils apprennent par cœur les noms des espèces de plantes et d’animaux, leur utilité et les traditions magiques attachées à chacune. Ils ont une taxonomie plutôt complète et détaillée des plantes et animaux qui cohabitent avec eux. Bien que les shamans shuar traditionnels (uwishin) aient disparu, certaines de leurs connaissances magiques et écologiques survivent à travers des uwishin modernes. Ils sont maintenant des guérisseurs encore très respectés qui communiquent avec les esprits des plantes et des animaux, suite à la prise d’un breuvage magique mondialement connu, le natema en shuar, ou ayahuasca pour les occidentaux. Des semaines et des mois très excitants d’analyse détaillée de toutes les informations sur les valeurs de la biodiversité que les shuar m’ont données et autorisées à transmettre m’attendent encore. Merci CSBQ! 

Post date: March 07, 2017

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