par Jean-Baptiste Fl’och
Lecteurs, Lectrices, dans ce qui suit, nous allons vous faire part d’une affaire qui a secoué le monde du vivant il y a déjà de cela quelques années. Cet épisode de procès aux rebondissements surprenants a été passé sous silence par la majeure partie des médias humains mais a fait grand bruit dans les buissons.
Tout a commencé par un pamphlet propagandiste publié par le CAPNEC (Comité des Angiospermes Producteurs de Nectar en Colère) dans un journal dont je tairais le nom. Ce message commençait comme ceci :
Toutes les fleurs ne synthétisent pas de nectar et toutes les abeilles n’ont pas la même taille de langue.

Xylocopa violacea ou Xylocope violet
Mais, allez-vous me dire, que vient faire cette histoire de longueur de langue ? Ce n’est pas la taille qui compte, l’important c’est de polliniser ! Hé bien apparemment cet adage ne compte pas pour certains insectes malotrus qui préfèrent utiliser la triche plutôt que de polliniser à la loyale.
Tout le monde sait que l’équilibre entre les fleurs et les butineurs repose sur le fait que ces derniers sont le vecteur du pollen de la fleur qui leur garanti l’accès à son nectar doux et sucré. Mais cet équilibre est rompu par des insectes sans foi ni loi. Si la plupart des abeilles sont dotées d’une grande langue, de nombreux bourdons et abeilles sauvages aux ouvrières peu consciencieuses ont développé une technique déloyale :

Chez la majorité des fleurs, le nectar est situé dans un éperon comme sur le schéma ci-contre. Pour y accéder légalement, il faut soit une longue trompe, soit une longue langue, ou encore quand on n’a ni l’un ni l’autre, s’engouffrer dans la fleur pour atteindre de merveilleux nectar. Dans tous les cas, le pollinisateur repart du bistrot avec de précieux grains de pollen collés à sa trompe, sa tête ou son abdomen. Sauf que le dernier cas est jugé long et barbant par une certaine communauté de malfrats qui ont préféré passer outre et découper la paroi florale à l’endroit de la poche de nectar pour s’en repaitre.
Non content de flouer la fleur partenaire en refusant de convoyer son pollen, ce hold-up a aussi pour résultat de faire goûter le nectar qui une fois dérobé ne peut plus se ré-accumuler dans la poche à nectar, car celle-ci est trouée, lésant ainsi tous les pollinisateurs étant arrivés après le maraud en question.
C’est tout bonnement incroyable, nous nous voyons donc dans l’obligation d’émettre un avis de recherche sur les taxons suivants : Xylocopa, Apis, et Bombus. Pour différencier les honnêtes citoyens des affreux gangsters, mesurez la longueur de leur langue. Au-dessus de 7 mm vous avez vraisemblablement affaire à un citoyen vertueux, mais en dessous il y a de forte chance pour que vous soyez en présence d’un malfrat de la pire espèce !
Les plantes trichent aussi.

Dans le précèdent numéro, le Comité des Angiospermes Producteurs de Nectar en Colère a fait paraître une lettre ouverte accusant de nombreux taxons de fraude pollinisatrice caractérisée. L’affaire a depuis été portée auprès du Tribunal des litiges des Compagnons Naturalistes. Le juge, un vieux hibou grand-duc à l’allure fatiguée fait signe que la voix est maintenant à la défense des accusés.
Vôtre honneur, si nos très estimés confrères bourdons et xylocopes sont qualifiés d’irrécupérables malfrats par les honorables membres du CAPNEC, nous voulons tout de même rappeler que ces derniers jouent des rôles cruciaux dans les écosystèmes de par leur fréquence de pollinisation élevée.
S’ils se comportent en ours mal léchés quelques petites fois, c’est parce qu’ils se font justice et qu’ils réparent les tords que certaines angiospermes peu besogneuses leur ont fait. Si ! Ne me regardez pas de la sorte avec cet air incrédule, ce que je dis est parfaitement vrai. Ce n’est pas parce qu’ils arborent de belles couleurs que les angiospermes sont dénuées de mauvaises intentions, bien au contraire.
J’accuse ainsi les orchidées du genre Orchis et Ophrys de s’adonner à l’exploitation des petits pollinisateurs prolétaires !
– Tumulte dans la salle, le juge la fait calmer et indique à l’avocat de poursuivre-
Mais pour bien comprendre le préjudice que subissent les accusés, je vous prie d’imaginer la situation de départ.
Vous êtes un membre respecté de votre colonie et vous démarrez la journée. Votre travail est, comme tous les jours, crucial pour la pérennité de votre famille. Vous devez rapporter assez de nectar pour nourrir les larves et votre reine qui assureront la prochaine génération. Cependant pour voler vous avez besoin de votre inestimable carburant que vous récoltez à longueur de journée : le nectar. Vous vous dirigez donc vers la fleur qui indique par ses signaux olfactifs et visuels qu’elle en est littéralement gorgée. Une visite approfondie de cette bienfaitrice s’impose donc. Mais là Horreur ! Lorsque vous atteignez avec votre langue, avec plus ou moins de difficulté, la cavité nectarifère, vous vous rendez compte qu’elle n’existe pas. Qu’il n’y a rien à part cette bonne odeur et ces signaux visuels hypnotisant. Vous vous êtes fait flouer ! Vous vous réenvolez avec en plus le pollen de l’arnaqueuse en question qui vous alourdi et vous fait consommer plus. Et vous vous apercevez que toutes les fleurs qui vous entourent sont de la même espèce que la dernière. Mais les signaux olfactifs et visuels sont trop puissants alors vous cédez et allez butiner toutes lesdites fleurs avant de vous envoler lourdement, à la limite de la perte de conscience vers un environnement plus clément et moins ingrat.
Trouvez-vous cela normal, votre honneur ? Et cette pratique est répandue ! Je peux vous citer des noms et non des moindres ! Car il s’agit là de membres angiospermes éminemment respectés et souvent protégés.

On a tout d’abord Orchis purpurea, qui figure dans le comité d’administration du CAPNEC si j’en crois mes sources, qui attire les insectes par ses couleurs extrêmement hypnotiques.
Il y a aussi le Sabot de Vénus, présidente d’honneur du CAPNEC pour son extrême rareté, mais qui sous la cape s’adonne aussi à la tromperie ! Elle piège le pollinisateur dans son sabot où il tourne pendant des heures et se couvre de pollen SANS AUCUNE contrepartie.
Et ces gens-là ont l’outrecuidance de déposer une plainte ?
Mais je n’ai pas encore parlé du plus grave et de ma dernière accusation de préjudice à la reproduction et à la pérennité de l’espèce. Certaines s’adonnent à la tromperie la plus extrême et vise les mâles de nos colonies, par le biais d’un racolage immonde.
L’Ophrys bombyx, citée dans plusieurs comités respectables pour la protection de la nature, attire nos mâles avec nos propres phéromones femelles ! C’est une violation de notre propriété intellectuelle, une contrefaçon caractérisée qui, en plus, est utilisée à des buts de tromperie à notre encontre ! Et ce n’est pas la seule, je peux aussi citer le genre Coryanthes qui agit de la même manière.
Après l’expression de ce constat accablant contre le comité plaignant, nous exigeons que sa plainte soit retirée et que la lumière soit faite sur le préjudice que nous, pauvres butineurs, subissons depuis des temps immémoriaux.
-Le tumulte emplit la salle, le juge est obligé de la faire évacuer, la séance se clôt, mais le procès continue….-
Suite de l’affaire des fraudes pollinisatrices

Après les rebondissements de l’affaire du CAPNEC et des fraudes généralisées à la pollinisation, l’état s’est constitué parti civil et a mené une enquête approfondie sur les mœurs pollinisatrices de toutes les espèces d’insecte et de plantes de France. Le procès s’étale déjà sur plusieurs longs mois et le juge, un vieux hibou grand-duc, est chargé de l’instruction de l’affaire. Il entre dans la salle, visiblement fatigué. Il s’installe, puis prend la parole.
« Mesdames, messieurs, la séance est ouverte. Aujourd’hui nous ferons la lumière sur le rôle plus ou moins fumeux de certains coléoptères se disant pollinisateurs. » Il se tourne alors vers le banc des prévenus où le regardent avec appréhension une foule de cétoines, de carabes et autres coléoptères. « Bien, alors qu’avez-vous à dire pour votre défense ? Je vous rappelle tout de même que vous êtes accusés de fraude à la pollinisation comme la majorité de ceux qui sont comparus devant ce tribunal. »
Un instant de flottement dans le banc des accusés se fait ressentir, puis un cétoine funeste plus gros que les autres se lève et prend la parole.
« De fraude vous dites ? Franchement, je ne vois pas de quoi vous voulez parler. La majeure partie de mes collègues ainsi que moi-même sommes d’honnêtes pollinisateurs qui accomplissent tous les jours leur travail, et ce de façon exemplaire. Nous jouons d’ailleurs un rôle important dans la pollinisation des astéracées. Regardez notre physique : tout prouve notre utilité : nos soies ainsi que l’ensemble de notre morphologie nous permettent de nous enduire de pollen et de le disséminer au fil de nos pérégrinations. Il est certes vrai que nous n’avons pas la même efficacité que les grands consortiums nationaux tels que le syndicat des abeilles domestiques et sauvages ou celui des rhopalocères. Mais nous n’avons pas non plus la même morphologie, eux sont taillés pour la vitesse, tandis que nous non. Bref, vous m’avez compris : nous passons le plus clair de notre temps dans des fleurs, que nous pollinisons. Où est le mal dans tout cela ? »
Le vieux hibou se racle la gorge.
« Il me semble que vous occultez un point important. Vous ne dites absolument rien sur le fait que lorsque vous vous prélassez sur une fleur, vous passez la majorité de votre temps à bouloter son pollen ou même pire : ses organes floraux ! Ne niez pas ! Nous avons d’indiscutables preuves. »
Un sentiment de malaise s’empare de l’assemblée des accusés, mais cette fois-ci c’est un carabe doré qui prend la parole.
« Écoutez, oui nous mangeons du pollen, et c’est d’ailleurs notre nourriture principale. Mais vous n’allez pas me faire croire que cela porte quelconque préjudice à la fleur en question. Avez-vous idée de la quantité de pollen que produit une fleur ? Je peux vous assurer que la production dépasse significativement le taux de grains de pollen qui servent à polliniser d’autres fleurs. Et puis, en ce qui concerne les organes floraux, si nous dévorons deux ou trois anthères par-ci par-là ce n’est vraiment pas un drame. Les seuls qui en voient un, ce sont les horticulteurs lorsque l’on commence à faire des trous dans les pétales des roses. Roses qui sont bien contentes que nous nous donnions la peine de les visiter soit-dit en passant, car leur production de nectar est des plus ridicule et elles sont souvent boudées des autres pollinisateurs. Vous feriez mieux de vous pencher sur le problème des vrais parasites et non pas de nous autres commensaux et mutualistes qui n’avons rien demandé à personne.»
Suite à cette diatribe, le juge soupire d’un air exténué, et tout en regardant le public au-dessus de ses verres en demi-lune cols la session :
« Je commence à croire qu’en matière de pollinisation tout n’est qu’une affaire point de vue et qu’il n’y ait réellement pas de profiteurs ou de laissés pour compte… tout a l’air en demi-teinte. Gardez quand même un œil sur nos amis coléoptères… La séance est close ! »

Jean-Baptise Fl’och a fait une maitrise de recherche en France à l’université de Montpellier et poursuit présentement sa thèse de doctorat à l’Université de Montréal.
0 Comments