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L’odyssée fabuleuse des bébés homards

par Fanny Noisette

Ce n’est pas le
récit de mon voyage depuis Rimouski (QC) jusqu’à St Andrews, petite station
balnéaire au sud du Nouveau Brunswick, que je vais vous raconter ici. Pourquoi
descendre à St Andrews alors qu’on travaille normalement à l’Université du
Québec à Rimouski me direz-vous ? Pour profiter des installations aquacoles et
des infrastructures d’élevage de la Station Biologique de Saint Andrews, du
Ministère de Pêche et Océans (SABS, Pêches et Océans Canada), et réaliser une
expérience de 3 mois sur les jeunes phases de vie du homard américain. Alors, certes,
cette descente vers le sud du Nouveau Brunswick, l’auto chargée de matériel scientifique
a connu son lot de péripéties, mais ce n’est rien comparé à l’extraordinaire
voyage que vivent les bébés homards, objet d’étude de ladite expérience.

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Larve de homard américain (Homarus americanus) au stade I.

Tout frais sorties
des pattes de leur mère entrent lesquelles elles ont été incubées pendant quelques
semaines, les larves de homard américain entreprennent pour une vingtaine de
jours une vie pélagique, c’est-à-dire dans la colonne d’eau. Durant cette
période, elles vont non seulement devoir supporter des variations environnementales
très fluctuantes en zone côtière, mais également être malmenées par les courants,
exposées à la prédation et par-dessus tout, subir de drastiques transformations
corporelles. Incapables de grandir de manière continue, les homards grandissent
en effet par palier, chaque transition étant marquée par un processus de mue
permettant l’agrandissement du corps en se débarrassant de l’ancienne carapace.
En quelques semaines, les larves de stade I vont donc muer une première fois
pour atteindre le stade II, reconnaissable à l’apparition des pléiopodes
(petites pattes au niveau de l’abdomen). Quelques jours plus tard, elles
mueront ensuite une deuxième fois pour passer au troisième stade larvaire,
marqué par l’apparition des uropodes au niveau du telson (en d’autres mots, des
appendices supplémentaires au niveau de la queue).

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Larves de homard américain (Homarus americanus) aux stades
II et III (de gauche à droite).

Mais la mue la plus
drastique reste encore à venir… quelques jours après le passage au stade III,
les larves muent une nouvelle fois, se transformant en mini-homards dont la
forme changera peu jusqu’au stade adulte. Cette étape, appelée post-larve
(stade IV), est une phase critique durant laquelle les petits homards vont
nager à travers la colonne d’eau, oscillant de la surface vers le fond à la
recherche de l’habitat idéal pour leur établissement benthique. Une fois
l’environnement idéal trouvé, la mue suivante arrive et la post-larve se
transforme enfin en juvénile et met fin à sa vie pélagique pour devenir
complètement benthique durant tout le reste de sa vie adulte.

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Juvéniles de homard américain (Homarus
americanus) au stade IV et V(de haut en bas).

C’est à travers cette
incroyable odyssée à travers la colonne d’eau et tout au long de leur
développement que nous avons étudié les effets de la diminution du pH induite
par l’acidification des océans sur les jeunes phases de vie du homard. En
particulier, nous avons testé l’effet de différentes conditions de pH (de 8.1
jusqu’à 7.4) sur les traits d’histoire de vie et la physiologie de chaque stade.
Les premiers stades de vie des invertébrés sont reconnus comme les plus
sensibles à l’acidification des océans chez de nombreuses espèces. De plus, les
larves de homard ne possèdent pas de système de régulation acide. Nous nous
attendions donc à ce que les 3 premiers stades de vie (stades larvaires) soient
plus sensibles à la diminution de pH que les stades juvéniles. Or, il ressort
de notre étude que les larves apparaissent plus résistantes que les stades
juvéniles à la diminution de pH mais que globalement, les jeunes stades de vie
du homard américain ne sont impactés que par de très fortes diminutions de pH
(7.6, 7.4), qui pourraient occasionnellement survenir en zone côtière à
l’horizon 2100.

A l’heure où
l’acidification des océans représente une réelle pression pour certaines
espèces de culture comme les huîtres ou les moules, cette étude donne de
nouvelles perspectives sur les potentiels effets de ces changements
environnementaux sur une espèce d’intérêt commercial majeur pour le Québec (et
plus généralement la côte est nord-américaine), le homard américain.


Fanny Noisette est
une chercheure en écologie marine, spécialisée dans l’écophysiologie des
organismes marins et l’écogéochimie des écosystèmes côtiers dans un contexte de
changements globaux. Travaillant actuellement à l’Université de Tasmanie, elle a
été recrutée comme professeure à l’ISMER à partir d’août 2018. Cette étude sur
les homards a été réalisée dans le cadre de son post-doctorat à l’université du
Québec à Rimouski (2016-2017), sous la supervision de Piero Calosi et dans le
cadre du projet MEOPAR-ICAP.

Post date: February 27, 2018

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