par Marianne Falardeau-Côté
Durant l’été 2015, j’ai accompli ma première saison de terrain de doctorat à Cambridge Bay, au Nunavut, avec l’aide de la bourse d’excellence du Centre de la Science de la Biodiversité du Québec (CSBQ). Pendant deux mois et demi, j’ai échantillonné des organismes allant du phytoplancton jusqu’aux mammifères marins dans le but de comprendre le fonctionnement du réseau trophique marin, c’est-à-dire la chaîne alimentaire, et l’importance des dynamiques trophiques dans la production de services écosystémiques cruciaux pour la communauté locale, comme les pêcheries d’omble chevalier et la chasse artisanale aux mammifères marins. En effet, les pêcheries commerciales, récréatives et de subsistances, ainsi que la chasse, procurent des bénéfices non seulement économiques, mais également sociaux et culturels, aux résidents de Cambridge Bay. Cambridge Bay est appelé Ekaluktutiak en inuinnaqtun, le langage Inuit local, ce qui signifie « L’endroit où il fait bon pêcher », c’est dire à quel point les pêcheries y sont importantes!
À Ekaluktutiak, « L’endroit où il fait bon pêcher »!
Or, étudier un réseau trophique marin dans son ensemble est un défi de taille car des espèces de tous les niveaux trophiques doivent être échantillonnées! Mes échantillonnages se sont donc déroulés en plusieurs étapes et avec l’aide d’innombrables personnes, dont des guides Inuits locaux, l’organisation locale des trappeurs et des chasseurs, et plusieurs organismes basés à Cambridge Bay, dont la Fondation de Recherche Arctique, Savoir Polaire Canada et le Ministère de Pêches et Océans Canada (MPO). D’abord, j’ai participé à des camps d’échantillonnages du MPO à différentes embouchures de rivières dans la région. Nous nous rendions à ces sites en hydravion et y installions un camp pendant une à deux semaines à chaque fois. Mon objectif était d’y pêcher de l’omble chevalier et autres poissons adultes de l’Arctique. J’ai ensuite participé à une mission océanographique de deux semaines à bord du navire R/V Martin Bergmann afin de récolter des producteurs primaires, du zooplancton et des poissons juvéniles. Pour échantillonner des organismes benthiques, ou benthos, soit ceux qui vivent au fond comme les oursins, anémones et autres bestioles fascinantes, j’ai eu l’aide de plongeurs de l’organisme Ocean Networks Canada et j’ai moi-même récolté du benthos en utilisant un engin appelé « benthic grab » à partir d’un bateau à moteur. Finalement, j’ai obtenu quelques échantillons de mammifères marins en collaborant avec les chasseurs locaux, qui m’ont gentiment laissé prendre un petit morceau de quelques-unes de leurs prises.
Échantillonnage de zooplancton à bord du navire R/V Martin Bergmann
Pour analyser tous ces échantillons, j’utilise des traceurs chimiques, soit les isotopes stables, les acides gras et le mercure, pour comprendre comment le réseau trophique de cette région arctique fonctionne, et de quelles manières les espèces marines d’importance pour les Inuits, soit les poissons arctiques, particulièrement l’omble chevalier, et les mammifères marins, dépendent des niveaux trophiques inférieurs que sont le phytoplancton, le zooplancton, le benthos et les poissons fourrage. Ces traceurs chimiques permettent en effet d’expliquer qualitativement et quantitativement les flux d’énergie, de nutriments et de contaminants entre les différentes espèces composant un écosystème. Ces différents flux doivent fonctionner selon un certain équilibre pour qu’un écosystème se maintienne et que les prédateurs des niveaux trophiques supérieurs, souvent des espèces pêchées ou chassées, obtiennent suffisamment d’énergie. Ainsi, les services écosystémiques centraux aux modes de vie traditionnels inuits dépendent du bon fonctionnement du réseau trophique marin arctique.
Les pêcheries d’omble chevalier constituent un service écosystémique crucial dans les communautés inuites.
À l’heure actuelle, peu d’études scientifiques sur le réseau trophique marin arctique ont été réalisées, particulièrement dans la région de Cambridge Bay, où quasiment aucune étude scientifique n’existe, mis à part quelques rapports de la littérature grise du MPO. Cette étude produira donc de nouvelles connaissances scientifiques de pointe sur les dynamiques trophiques marines arctiques et leur importance pour la production de services écosystémiques. De plus, les Inuits locaux détiennent un bagage de connaissance impressionnant concernant l’écosystème marin arctique et je compte bien intégrer leur savoir à cette étude afin qu’elle soit la plus complète possible et accomplie dans le respect du savoir local. J’ai établi cet été de très bonnes relations dans la communauté locale, et j’ai déjà pu réaliser huit entrevues afin d’intégrer le savoir traditionnel écologique.
En somme, cette étude permettra de mieux comprendre un environnement marin fragile, mais peu étudié par les scientifiques, et d’évaluer la capacité de résilience de cet écosystème marin arctique et de ses services écosystémiques face aux changements climatiques, qui transforment déjà le visage de l’Arctique canadien.
Pour en savoir davantage sur mes recherches, visitez mon site web!
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