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Quand les manchots ont la vie (encore plus) dure

Par Émile Brisson Curadeau, étudiant au doctorat à  l’Université de McGill et l’Université de La Rochelle

Les manchots ou Sphéniscidés (qui ont aussi leur propre ordre, Sphénisciforme), sont si uniques et emblématiques qu’ils sont connus de tous, même si peu de gens ont réellement la chance de les voir. Ce sont, parmi les oiseaux, les experts de la plongée, avec certaines espèces plongeant régulièrement à plus de 200m, où la pression est plus de 20 fois supérieure à celle de la surface. Cette particularité, entre autres, fait des manchots un modèle d’étude vraiment intéressant. Les manchots sont donc très étudiés par les scientifiques et méritent donc leur propre conférence !

En septembre dernier, grâce à la généreuse contribution du CSBQ, je suis allé à la Penguin Congress au Chili pour présenter mes travaux de recherche sur les manchots royaux. À première vue très spécialisée, cette conférence a été assistée par un nombre impressionnant de scientifiques. Les sujets étaient variés : écologie, physiologie, épidémiologie, conservation, et bien d’autres ! Évidemment, au centre de chacun de ces thèmes se tenait une ou plusieurs des 18 espèces existantes de manchots. Ce fut très enrichissant de discuter avec autant de personnes qui s’intéressent à cette famille d’oiseaux si fascinante ! 

Quant à moi, je suis allé présenter sur une anomalie de reproduction qui a été observée pendant deux années d’affilée sur une des plus grandes colonies de manchots royaux au monde. Avec plus de 100 000 couples nicheurs, cette colonie nommée Ratmanoff est située dans le sud de l’Océan Indien et offre un spectacle magistral aux quelques chanceux qui ont la chance de l’observer. Normalement, le succès reproducteur de cette colonie est autour de 60% par année, c’est-à-dire que 60% des couples vont réussir à élever leur unique poussin avec succès. Or, en 2009 et 2010, le succès reproducteur a été presque nul ! Je me suis penchée sur cette mystérieuse anomalie pour essayer d’éclaircir les raisons qui ont causé ces saisons de reproduction catastrophiques. Spoiler alert : je n’ai pas réussi à tout résoudre, mais j’ai certainement trouvé des pistes !

Tout d’abord, il faut savoir que le manchot royal possède un cycle de reproduction assez particulier; c’est le plus long parmi tous les oiseaux. Effectivement, alors que même les plus gros oiseaux prennent normalement quelques mois entre le moment de la ponte et l’envol des poussins, les manchots royaux ont besoin de plus d’un an pour que leur progéniture puisse enfin partir en mer. Par conséquent, un individu ne peut pas se reproduire avec succès deux années d’affilée, puisqu’il commencerait la ponte en retard la deuxième année. La majorité des individus se reproduisent donc seulement tous les deux ans. 

Sachant cela, j’ai découvert que la période qui a été déterminante pour les deux saisons de reproduction (2009 et 2010), est en fait la même : l’hiver 2009. Avant cette période, la reproduction de la cohorte 2009 allait bien ; les poussins étaient relativement gras et le taux de survie était élevé. Après l’hiver, les adultes ont eu de la difficulté à alimenter avec succès leur poussins, qui sont presque tous mort de la famine. Quant aux individus se reproduisant en 2010, ils rejoignent normalement la colonie au printemps mais cette année là, ils sont arrivés en retard. Ce retard fut probablement dû à des conditions hivernales difficiles en mer. Ces manchots ont donc commencé la reproduction avec un gros décalage, ce qui a engendré un échec massif de leur reproduction.La prochaine question que je me suis posé fut « mais qu’est-il bien arrivé en hiver 2009 ? ». Malheureusement, c’est là qu’il reste encore des mystères. Vous pouvez toutefois lire quelques hypothèses dans mon article scientifique publié dans Scientific Report et intitulé Investigating two consecutive catastrophic breeding seasons in a large king penguin colony.

À propos de l’auteur:

Émile est un étudiant au doctorat, en cotutelle avec l’Université de McGill et l’Université de La Rochelle. Son projet examine l’effet des changements climatiques sur les manchots royaux. C’est également un passionné d’oiseaux depuis son enfance, ayant toujours des jumelles à son cou!

Post date: May 14, 2024

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