par Martine Fugère
J’aurais bien
aimé vous présenter mon emploi de rêve en tant que biologiste. Cependant, ne
l’ayant toujours pas trouvé, je vais plutôt vous parler de mon parcours et des
embûches que j’ai pu rencontrer en espérant vous les éviter.
Je ne sais pas
pour vous, compatriotes biologistes, mais moi ce qui m’a poussée à poursuivre
une carrière dans ce domaine, c’était le désir de faire changer les choses.
Depuis toute petite j’ai eu cette réplique idéaliste toute faite lorsque l’on
me demandait ce que je voulais faire de ma vie : « Sauver les animaux
dans le monde! ». C’est vraiment
mignon la naïveté de l’âge tendre, quand on se dit que tout sera réglé d’un
claquement de doigts. Évidemment, depuis, mon discours s’est affiné car j’ai vu
que mon objectif initial était peut-être… légèrement trop ambitieux pour moi! Lorsque
l’on me demande ce que je fais dans la vie, je dis que je travaille pour
essayer de changer le monde petit à petit.
Tout ça pour
dire que depuis que je parle de vouloir changer le monde, je me suis heurtée à
des murs de répliques désobligeantes que vous avez sûrement déjà entendues :
« Ça ne
sert à rien ce que tu fais, la majorité des gens s’en foutent et ce n’est pas
toi et une poignée de gens qui ferez la différence. »
« Pourquoi
chercher à changer les choses alors que l’on sait au bout du compte que
l’espèce humaine va disparaître. »
« Tu
utilises bien une voiture toi aussi de temps en temps, alors pourquoi es-tu
contre le pétrole?»
Bref, ces petits
bijoux de phrases ont fait très mal à mon désir de changer le monde lors de mes
études. Je me suis écrasée, je l’admets. J’ai décidé de poursuivre en
recherche, avec un petit espoir de me sentir utile, mais je ne m’impliquais
plus depuis de nombreuses années: j’avais perdu la flamme qui m’habitait. Et
lorsque l’on fait un travail sans trop savoir pourquoi, lorsque l’on perd de
vue quelles sont nos motivations premières et ce qui nous fait avancer dans la
vie, disons que c’est plus difficile… plus difficile comme continuer de marcher
dans des sables mouvants avec un poids attaché aux pieds et les mains liées
dans le dos pour faciliter la chose, vous voyez?
Je ne pouvais
plus continuer de cette manière, mais vous savez quoi? Je n’ai pas été en
mesure de le réaliser seule. Ce sont les gens géniaux autour de moi qui m’en ont
fait prendre conscience. Ils m’ont fait réaliser à quel point le milieu de la
recherche me rendait misérable. J’ai réalisé que presque tout ce que je faisais
pour me rendre utile était jugé superflu. Je souhaitais faire de la
vulgarisation auprès du public pour faire une différence, renseigner les gens
impliqués dans la problématique environnementale, on m’a fait comprendre que ce
n’était pas important et on m’a forcé à tout laisser tomber. Je m’enfonçais
dans des analyses toujours de plus en plus complexes pour aboutir à des
résultats qui ne devaient servir qu’à gonfler mes publications.
Bref, j’ai décidé de changer de voie.
Je me suis impliquée dans des activités
de vulgarisation scientifique, j’ai été assistante scientifique pour une
émission de télévision et je me suis engagée comme promeneuse bénévole auprès
de la SPA (ma manière de retourner aux racines de mes rêves de sauvegarde des
animaux). En terminant ma maîtrise, j’ai décidé de faire davantage de
présentations hors du milieu de la recherche pour faire de la sensibilisation.
Démonstratice à l’émission “Génial” à Télé-Québec.
Enfin à la
recherche d’un emploi, je me suis cependant heurtée à un mur inattendu. Savez-vous
qu’il est possible d’être désavantagé lorsque l’on a fait des études
supérieures et que l’on dévie du milieu de la recherche? Lorsque l’on postule pour
des emplois de terrain, on se fait dire que nous sommes trop académiques pour
l’emploi ou encore surqualifiés pour les tâches (comprendre ici : avec
votre diplôme vous êtes plus haut dans l’échelle salariale et donc vous
coûteriez plus cher). On en vient presque à vouloir brûler notre diplôme pour
ne plus en entendre parler. D’un autre côté, les employeurs, comme dans de
nombreux milieux, nous disent que nous avons trop peu
d’expérience de travail, qu’il faudrait avoir plus d’années d’ancienneté dans
le domaine….ermm je voudrais bien messieurs dames, mais pour ça il faudrait que
l’on me laisse commencer quelque part! Et vous vous dites que vos années
d’études supplémentaires n’auront été que du temps perdu à ne pas être sur le
marché du travail.
Alors j’en ai
bavé… longtemps! Cependant, je ne suis pas restée à pleurer sur mon sort (car
la déshydratation ça n’aide en rien) et j’ai finalement décidé de voyager pour
découvrir le monde, m’initier à différents modes de pensées et différentes
approches. Par exemple, on a souvent l’impression que les pays industrialisés
peuvent apporter les réponses car ils sont plus avancés au niveau des connaissances.
C’est en parcourant le terrain que l’on réalise à quel point cette manière de
pensée est erronée. Les gens des pays plus pauvres ont très souvent des
approches beaucoup plus adaptées aux conditions de leur environnement et sont
beaucoup plus débrouillards face aux ressources plus restreintes. J’ai appris à
intégrer les différents points de vue à mon approche, ce qui me permet d’avoir
une meilleure capacité de communication. En plus, lorsque l’on décide de se
laisser porter par les rencontres du moment et de prendre le temps d’échanger
avec les gens locaux, il est devient rapidement possible de voyager à faible
coût en logeant chez l’habitant. Cette pause dans ma vie m’a permis d’apprendre
l’humilité et la collaboration, atouts essentiels lorsque l’on souhaite faire
bouger les choses.
Mais maintenant,
avec tout ça je fais quoi aujourd’hui? Car oui si je vous écris cette belle
histoire il doit bien y avoir une morale quelque part, une solution miracle
pour indiquer à ceux dans le même cheminement la voie à suivre. En fait, je
n’en ai pas. Je peux vous dire que j’ai finalement réalisé que mon diplôme
n’est pas inutile. Que mon expérience à la maîtrise m’aura permis de développer
des compétences en gestion de personnel et en enseignement que je n’aurais pas
obtenu autrement. Je peux vous conseiller très fortement de vous entourer de
gens bien qui vous poussent à vous dépasser et qui seront là pour vous
soutenir. Le fait de se créer un réseau est un atout majeur que l’on tend à
minimiser ici au Québec. Vous aurez beau avoir les meilleurs résultats
scolaires, être la personne la plus brillante qui existe, sans personne autour
de vous, le chemin sera beaucoup plus difficile et la recherche d’opportunités
également. Comme le dit le dicton : « Seul on va plus vite, ensemble
on va plus loin! ».
Rencontres de voyage.
N’hésitez pas à
vous impliquer en dehors du milieu scolaire dans ce qui vous intéresse. Osez
proposer votre aide, contacter des gens qui font des projets qui vous parlent.
On a souvent tendance à se bloquer, avoir peur d’être ridicule en contactant
une personne que l’on ne connaît pas, ou encore ne pas se laisser la chance quand
on se considère trop inexpérimenté. C’est ridicule, on doit tous commencer
quelque part et vous n’avez rien à perdre à essayer!
Pour ma part,
j’ai fait de belles découvertes en dehors du secteur académique. J’ai travaillé
pour un organisme de la ville de Montréal afin de faire la promotion de la
collecte du compost avec laquelle les gens sont peu à l’aise. J’ai organisé les
trajets de porte à porte afin de renseigner la population avant l’arrivée des
nouveaux bacs. C’était un travail auprès du public très intéressant. Par
contre, j’ai dû être prête à m’adapter à toutes sortes de situations car
certains déversaient leur colère et leur incompréhension face à cette nouvelle
réalité en me criant dessus, certainement la partie la moins agréable de ce
travail, même si peu fréquente. J’ai par la suite travaillé pour un organisme
qui fait le contrôle biologique des insectes piqueurs. Le travail sur le
terrain impliquait des heures de marche dans des endroits magnifiques. En plus de
découvrir différentes techniques de traitement biologique, je me suis plu dans
la supervision des équipes de terrain. Malheureusement, cette compagnie ne
m’offrait pas l’opportunité de faire une réelle différence dans la protection
de l’environnement, ayant en premier lieu à cœur le fait d’effectuer des
traitements efficaces pour obtenir des contrats payants. Je ne me sentais pas à
ma place et pour la première fois de ma vie, je me suis permis de quitter un
emploi qui ne me plaisait pas. J’ai postulé ensuite pour un poste de
vulgarisation scientifique, où l’on m’a gentiment informé que je n’avais pas
assez de rédaction à mon cv. Qu’à cela ne tienne, j’ai décidé de partir un blog de vulgarisation
scientifique, pour le plaisir et pour démontrer que j’avais la capacité de le
faire.
Et maintenant,
et bien j’ai changé de pays pour suivre mon conjoint. Je suis sur un nouveau
départ dans un nouvel environnement, et je compte bien en profiter. Je pense
suivre une formation supplémentaire pour les soins de base aux animaux. Je veux
continuer à faire de la sensibilisation auprès du public. Je ne sais pas si ce
que je fais est ce qu’il y a de mieux. Je ne pourrais même pas vous affirmer à
100% que ce que je fais est vraiment utile. Par contre une chose est certaine,
je le fais pour moi et parce que je crois que c’est la bonne chose à faire pour
changer le monde, petit à petit.
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