Enable Dark Mode!
Repenser nos vérités: une brève immersion dans le monde de l’économie écologique

Par Ann Lévesque, PhD, nouvellement titulaire d’un doctorat de l’Université du Québec en Outaouais

Naviguer à travers les méandres des études doctorales peut être à la fois exaltant et ardu. Cependant, les défis rencontrés en cours de route sont souvent équilibrés par les occasions exceptionnelles qui se présentent, tels que des stages à l’étranger, des échanges enrichissants avec des chercheurs et chercheuses de renom, et des conférences stimulantes qui ouvrent de nouvelles perspectives.

Grâce à la bourse d’excellence du Centre de la Science de la Biodiversité du Québec (CSBQ) et à la Chaire de recherche du Canada en économie écologique, j’ai eu la chance de présenter un segment d’un de mes chapitres de thèse lors de la 17e Conférence biennale de la Société internationale d’économie écologique (SIEE) qui s’est déroulée en Colombie pendant la semaine du 23 au 28 octobre 2023. L’économie écologique est une nouvelle aire de recherche interdisciplinaire qui examine les interactions entre les systèmes sociaux et les écosystèmes naturels, dans la recherche, l’éducation, la politique et la pratique. 

Ma participation à cette conférence a été particulièrement mémorable en raison de la session à laquelle j’ai pris part, intitulée “Désapprendre les vérités scientifiques hégémoniques comme moyen de transformer notre avenir socio-naturel“. Aux côtés d’expert.e.s venant de divers horizons, nous avons exploré des sujets captivants et parfois controversés, remettant en question les paradigmes établis et cherchant des moyens novateurs de façonner un avenir plus durable. Par exemple, un chercheur a présenté les résultats d’une étude impliquant sept communautés Anishinaabe au Canada, qui combinent des approches quantitatives et qualitatives. Cette recherche démontre que les personnes profondément ancrées dans la culture autochtone ont une affinité marquée avec la nature. Elle souligne aussi les tensions entre la science occidentale et les connaissances autochtones, marquant un changement significatif dans la manière dont les interactions humaines avec la nature sont perçues, et remettant en cause les paradigmes traditionnels.

Un aspect marquant de cette session était la diversité des points de vue présentés. Chaque participant.e a offert une perspective unique et éclairante sur les défis environnementaux auxquels nous faisons face, enrichissant ainsi nos échanges et nos réflexions. Les sujets abordés étaient variés, allant de la remise en question des paradigmes scientifiques occidentaux à la compréhension des connaissances pratiques pour résoudre les problèmes écologiques, en passant par l’exploration des relations entre l’État, le colonialisme et le capitalisme. Une chercheuse a notamment discuté de la nécessité de repenser la science pour mieux servir la dignité, la justice et la survie des espèces. Celle-ci a souligné qu’au-delà de l’interdisciplinarité, il est crucial de déconstruire les fondements du système scientifique occidental. Cette démarche implique d’identifier et de remettre en question les mythes qui soutiennent des pratiques nuisibles pour les êtres humains et non-humains, comme la supériorité de l’humain sur la nature et la préférence pour le savoir occidental sur les autres systèmes de connaissance. La conférencière a proposé des alternatives plus inclusives et justes, remplaçant la compétition par la coopération et la propriété privée par le bien commun, dans le but de favoriser des changements transformateurs.

En addition, des thèmes juridiques et sociaux, tels que les droits de la nature et le rôle des créateurs de contenu sur les réseaux sociaux en tant que scientifiques citoyens, ont également été discutés. De plus, une conférencière a partagé des résultats préliminaires d’un projet de restauration des zones humides en Colombie. Ce projet de restauration transdisciplinaire des mangroves se déroule dans la Ciénaga Grande de Santa Marta, en Colombie, où plus de 5 000 personnes dépendent de ces écosystèmes pour leur subsistance. Ce projet cible la restauration de 30 hectares de mangrove et fonctionne comme un laboratoire vivant, destiné à développer des méthodes innovantes de restauration qui bénéficient à la fois à la qualité de vie des populations locales et à la santé des écosystèmes. Cette initiative met en avant les connaissances locales, impliquant activement les communautés de pêcheurs dans les processus de récupération écologique et alliant savoir scientifique et pratiques traditionnelles. Les premiers résultats montrent des taux de survie encourageants pour les mangroves restaurées, démontrant l’efficacité de l’intégration des savoirs locaux dans la gestion des ressources naturelles et la régénération des écosystèmes. 

Durant ma présentation, j’ai partagé des résultats de ma thèse portant sur l’évolution du conflit de conservation au lac Saint-Pierre (LSP), au Québec, où les modifications des pratiques agricoles et la conversion des cultures pérennes en cultures annuelles ont affecté négativement les habitats de la perchaude, entraînant un déclin marqué de cette espèce depuis les années 1990. En réponse à cette situation, les autorités québécoises ont instauré en 2012 un moratoire sur la pêche à la perchaude. Cette mesure a toutefois exacerbé les tensions entre les pratiques agricoles et les initiatives de conservation. Ma recherche met en lumière comment le processus de cadrage scientifique du problème, cherchant à mobiliser les parties prenantes pour restaurer les habitats de la perchaude, influence la transformation des pratiques agricoles dans les plaines inondables du LSP.  Cependant, le cadrage scientifique, généralement axé sur des solutions techniques, a tendance à négliger les perspectives sociales des communautés concernées, soulignant ainsi l’importance d’intégrer une variété de points de vue dans l’élaboration de solutions à des problèmes complexes. Par exemple, mes entretiens avec les acteurs locaux ont montré des opinions variées sur les stratégies de restauration, révélant des divergences et convergences utiles pour des collaborations futures. 

Sans vouloir remettre en cause les consensus scientifiques, ma thèse s’interroge sur le rôle de la science pour soutenir l’implantation de politiques publiques en environnement. En raison de la complexité des problèmes environnementaux, impliquant divers facteurs et perspectives, ma présentation a souligné la nécessité d’une collaboration entre scientifiques, détenteurs de différentes connaissances et participation citoyenne pour trouver des solutions. Cette collaboration permet notamment de rendre légitimes les différentes compréhensions d’un problème, de sensibiliser l’ensemble des acteurs sur les réalités de chacun, de proposer une gamme d’options possibles pour atteindre des gains environnementaux et de soutenir l’atteinte d’une meilleure équité entre les parties.   

En tant que chercheuse en économie écologique, ma participation à cette conférence a été une opportunité unique. Non seulement ai-je élargi mes propres connaissances et perspectives, mais j’ai également eu l’occasion de contribuer à un dialogue mondial sur les défis environnementaux et sociaux actuels. De plus, cette expérience m’a permis de tisser de nouveaux liens et d’explorer de nouvelles perspectives. En fin de compte, cela m’a rappelé l’importance de rester ouverte d’esprit et de collaborer avec des personnes aux perspectives diverses pour relever les nombreux défis de notre époque. À mesure que nous continuons à explorer de nouvelles voies pour un avenir plus durable, il est essentiel de cultiver un dialogue inclusif et de chercher des solutions qui tiennent compte de la complexité du monde qui nous entoure.

PS : Si vous cherchez une lecture qui dépasse le cadre du quotidien, je vous recommande chaudement ma thèse intitulée “L’analyse des processus de cadrage d’un conflit de conservation : un regard pluriel sur la cohabitation agriculture-faune au lac Saint-Pierre, Québec, Canada“. Vous pouvez la trouver ici : https://di.uqo.ca/id/eprint/1599/. Attachez votre ceinture pour un voyage passionnant à travers les profondeurs de la socio-écologie économique! 

À propos de l’auteure : Ann Lévesque, fraîchement titulaire d’un doctorat en sciences humaines et sociales de l’environnement de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), allie passion et expertise dans ses domaines de prédilection : l’économie écologique, l’écologie politique, et récemment l’innovation ouverte. Depuis qu’elle a rejoint les rangs d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), elle met à profit ses connaissances pour contribuer au rayonnement de la Division des laboratoires vivants. Ces laboratoires vivants sont spécialement conçus pour répondre aux besoins réels des agriculteur.trice.s, en favorisant une collaboration étroite et transdisciplinaire entre agriculteur.trice.s, scientifiques et divers partenaires, afin de développer des solutions innovantes adaptées aux défis actuels de l’agriculture. 

X: https://twitter.com/annlevesque_qc

ResearchGate: https://www.researchgate.net/profile/Ann-Levesque-2

LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/ann-l%C3%A9vesque-ph-d-87aa965a/

#
Post date: May 09, 2024

2 Comments

  1. Daphnée Bernier

    Très beau texte inspirant! On a besoin de plus de chercheure comme toi!!

    Reply
    • Ann

      Merci Daphnée! 😁

      Reply

Submit a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *