Par Christel Bouchetard-Aubus
Ce post a été soumis lors du concours d’essai du colloque 2020 du CSBQ / This post was submitted to the 2020 QCBS symposium essay contest
Quelle belle journée de printemps ! Parfaite pour une balade en forêt !
Je fouille entre les feuilles en décomposition. Libérées de la neige, elles cachent encore beaucoup de graines de l’automne dernier. Je prends mon temps. Le soleil est à peine levé et le bois est silencieux. Aucun danger à l’horizon. Pour autant, je reste vigilant : c’est la première règle que m’a enseignée ma mère. Elle disait sans cesse que les prédateurs étaient nombreux dans la nature. Elle pensait aussi que j’étais plus téméraire que mes frères et soeurs, et que cela me jouerait des tours un jour.
Je décide de quitter mon territoire et d’explorer les environs. Je m’arrête régulièrement pour observer autour de moi et remplir mes abajoues de graines, que je grignote de temps à autre.
Tout à coup, j’entends un tamia inquiet crier au loin. Je reprends mon exploration avec prudence.
Alors que je flâne de-ci de-là, je capte une odeur nouvelle dans les parages, faible mais merveilleusement attrayante. Qu’est-ce que cela peut être ? Il faut que je le sache !
Je hume à fond l’air et cours vers l’origine du parfum. Au pied d’une immense roche, celui-ci se fait plus fort. Un éclat gris attire mon regard. Plus je m’en approche, plus l’odeur devient entêtante.
L’éclat vient d’un drôle de trou au sol, caché entre les feuilles. Cela ne m’est pas familier mais je suis sûr que l’arôme alléchant provient de là ! Plus précisément, d’un petit tas brun posé au bord. J’avance mon museau et salive. Oh oui, c’est ça qui sent bon ! Sans hésiter, je lèche.
Oh, quelle saveur ! Je n’ai jamais rien mangé d’aussi succulent de toute ma vie ! C’est riche, onctueux, rien à voir avec des graines toutes sèches ! En trois coups de langue, je finis ce qu’il reste. J’en veux encore ! Heureusement, dans le trou, je repère un autre tas marron appétissant. Cette espèce de tunnel m’inquiète un peu… Malgré tout, la gourmandise l’emporte et je m’engouffre à l’intérieur.
L’endroit est étroit et froid, pas du tout accueillant. Ce n’est sûrement pas le terrier d’un rongeur. Je vais manger et je file d’ici aussi vite que je suis venu !
Sauf qu’il reste encore de la nourriture plus loin… Le tunnel s’arrête là et une étrange odeur s’en dégage. Pourtant je ne résiste pas à l’envie et m’avance jusqu’au fond.
Sous ma patte, je sens quelque chose bouger.
CLAC !
Je sursaute violemment. Il fait tout noir tout à coup ! Je me retourne comme je peux et réalise que l’entrée est bouchée. Misère ! Que se passe-t-il ? Où suis-je ? Ma mère m’avait bien prévenu que la forêt pouvait être dangereuse et qu’il fallait se méfier. J’aurais dû l’écouter…
Mon coeur s’affole et la peur me paralyse. L’arôme de la gourmandise vient me chatouiller les narines et me distraire. Il y en a beaucoup plus par ici ! Hum, quel régal ! Bien trop vite, j’ai tout dévoré. Et maintenant ?
Je n’y avais pas prêté suffisamment attention avant, mais le trou empeste une seconde odeur moins agréable : des traces de crotte et d’urine. Je reconnais ces excréments… Ce sont ceux de mes congénères ! D’autres tamias sont venus ici, et ils ont eu peur, eux aussi, très peur. Que sont-ils donc devenus ?
J’essaie de sortir mais l’entrée est complètement bouchée. Je gratte avec mes griffes et pousse de tous les côtés. Je tente même de ronger les parois dures comme de la roche et manque d’y laisser mes dents. Je dois me rendre à l’évidence : cette caverne est un piège sans issue.
Je me replie dans un coin et attends. Que faire d’autre ? Mon coeur se calme peu à peu.
Soudain, j’entends des branches craquer et des feuilles frémir à l’extérieur. Quelque chose de gros approche… Il existe de grands animaux dans la forêt. Ma mère me disait toujours de les éviter : avec leurs énormes pattes, ils ne font pas attention aux plus petits sur leur chemin. Suis-je en sécurité ici ?
Dehors, le bruit s’arrête tout près de moi. Les grognements d’une bête inconnue me parviennent.
Puis tout se met à basculer… La caverne tourne autour de moi et je tourne avec elle, affolé.
Brusquement, une lumière apparaît et m’aveugle. Roulé en boule, je m’en cache autant que possible. Elle finit par partir et tout redevient calme et immobile.
Le répit ne dure pas. Le piège se retourne à nouveau. J’entends un son aigu et un claquement sec. Plus rien ne bouge et, surtout, le tunnel est ouvert !
Seulement, un détail me gêne… Une drôle de toile d’araignée fait obstacle à la clarté du jour. Que devrais-je faire ? Le danger est-il encore là ? Pourtant, la sortie est juste devant moi, il faut que je saisisse l’occasion avant qu’elle ne se referme…
J’attends un instant, l’ouïe aux aguets. Rien à signaler. J’avance doucement et pointe mon museau vers l’extérieur. Pouah ! Les fils qui bouchent le passage empestent l’odeur de mes congénères, bien plus qu’au fond du trou ! Mais je vois la forêt au travers… alors je fonce !
Oui, à moi la liberté ! Je suis li…
Ah ! Que se passe-t-il encore ? Je suis soulevé dans les airs, la toile puante s’est resserrée autour de moi ! Laissez-moi sortir, au secours !
Je découvre mon kidnappeur : un bipède ! Avec sa grosse tête globuleuse et ses étranges poils aux couleurs vives ! Ma mère me parlait de cet animal bruyant et envahissant, à éviter absolument !
Je me fige. Que veut-il ? Comment lui échapper ? Les autres tamias ont dû se poser les mêmes questions que moi. Ont-ils trouvé la solution ? Je m’agite dans tous les sens. Je dois chercher une sortie, n’importe laquelle.
Là ! En bas, un trou un peu plus large ! Si je pouvais l’atteindre et l’agrandir avec mes dents… Je m’arrête un instant : le bipède s’active. Bah, peu importe ! Il ne s’intéresse pas à moi. Il est trop occupé à faire du raffut et à jouer avec de drôles d’objets autour du piège — un truc bleu qui émet des sons aigus et un long bâton noir. Je gigote de plus belle pour trouver mon passage vers la liberté… L’animal grogne. Pouah ! Il me souffle dessus avec son haleine fétide !
Je n’ai pas le temps de retrouver le trou car le bipède attaque ! Il glisse une grosse patte orange et sans griffes dans la toile. Ça y est, il me touche, il m’agrippe ! Aïe ! Il m’attrape le cou. Mon coeur bat à en exploser. La panique est si intense que je reste figé sur place, incapable de me défendre. La prise se resserre sur ma pauvre nuque. Je sens quelque chose frôler ma tête…
Aïe ! Aïe ! Mes oreilles ! Elles me piquent et s’alourdissent… Que m’a-t-il fait ? Aïe ! Pourquoi me déchire-t-il les oreilles ? Il commence peut-être à me manger, petit bout par petit bout…
Mon tortionnaire relâche un peu la pression et j’en profite pour me ressaisir. Cette fois, fini de discuter ! Je m’échapperai d’ici, coûte que coûte ! Je rassemble toute mon énergie. Où est ce maudit trou ? Je gratte, je tire les fils entre mes griffes… Ah, le voilà ! Vite, au boulot ! Je commence à grignoter. La toile est coriace mais pas assez pour mes dents. Ma mère disait toujours que j’étais doué pour décortiquer les graines les plus dures.
L’animal s’énerve. Il accentue sa poigne mais ne parvient pas à me saisir. Je m’acharne un peu plus contre le filet. Oui, j’ai réussi ! Mon museau passe déjà au travers, et bientôt mes yeux !
Le bipède me souffle encore sur le bout du nez. Attends voir, toi ! Je me retourne d’un mouvement brusque… Gnac ! Je lui mords la patte ! Elle a un goût détestable mais je recommence. Victoire ! Il s’agite en grognant. Tu as mal ? Tu l’as cherché !
Oh non… Il revient à la charge et m’enserre le cou plus fermement cette fois. Je ne peux plus du tout bouger. Il me lève loin au-dessus du sol et, à ma plus grande horreur, me retourne sur le dos…
… et me voilà face à face avec le bipède !
Il soulève la toile et laisse mon abdomen à découvert. Il le tâte de sa grosse patte. Eh ! Pas touche ! Puis il relève complètement le filet et ma tête est libre. Enfin de l’air pur !
Mais sa grande tête blême est là, sous mes yeux, trop proche de moi. Si j’ai eu peur auparavant, ce n’est rien comparé à cet instant. Pour la première fois, je sens venir la fin…
Pourtant, ni crocs ni griffes ne m’attaquent. L’animal me scrute. Est-ce que tous les prédateurs agissent ainsi avant de dévorer leurs proies ? Honnêtement, je ne tiens pas à le savoir. Et puis, la poigne dans mon dos s’est relâchée. Je ne réfléchis pas plus longtemps. Mon instinct prend le contrôle.
Je donne quelques coups d’épaules et de bassin. La prise du bipède se détend un peu plus. Je pivote la tête, le thorax, les membres, tout en même temps… Mon corps vrille dans les airs alors que la patte de mon adversaire glisse sur mes poils.
J’atterris brusquement au sol et je détale, vite et loin, sans me retourner !
Derrière moi, pas un bruit. L’animal ne me poursuit même pas. Ouf ! Je m’arrête sur une souche d’arbre pour souffler. J’écoute la forêt, en arrière des battements affolés de mon coeur. Un cri me parvient du sommet d’un hêtre. J’aperçois une queue rousse et hautaine. Un cousin éloigné… Ceux-là, ils aiment nous prendre de haut. Si ça se trouve, il m’a regardé me faire torturer tout du long, en grignotant ses glands ! Je lui exprime toute ma colère. D’ailleurs, je fais pareil avec le bipède qui m’observe toujours sans bouger. Maintenant que je suis sain et sauf, il me paraît plus lent et plus bête que dangereux…
Qu’importe ! Ma mère avait raison. On ne m’y prendra plus ! À la prochaine odeur alléchante, je ne tomberai pas dans le piège, non, non, non ! Je crie une dernière fois et file vers mon terrier.~~
Du haut d’une souche, P003 me regarde, les sens en alerte. Je ne bouge pas d’un pouce. Les tamias sont si mignons ! En plus, il y a un écureuil roux dans le hêtre juste au-dessus de lui. Quel tableau superbe ! Que la nature est merveilleuse ! Après un dernier cri, le tamia s’enfuit. Où peut-il bien aller ? Oh, comme j’aimerais être dans sa peau pour mieux le comprendre !
Je remballe mon matériel de trappage et me relève. P003 traîne encore dans les parages, je le vois au loin fureter entre les arbres. Oh, je crois qu’il s’approche de la coordonnée E6…
CLAC !
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