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Êtes-vous un entrepreneur de la connaissance ?

Titre alternatif : En quoi consiste le travail d’un scientifique en 2019 ? 

par Marc-Olivier Beausoleil

Tout au long de mon parcours académique, je me suis posé la question suivante : en quoi consiste le travail d’un scientifique ? Quel genre de compétences dois-je développer pour faire ce travail ? Que dois-je faire pour faire partie de « l’entreprise scientifique » ? Par entreprise scientifique j’entends, par exemple, devenir un professeur à l’université qui participe au programme scientifique. Ce programme consiste à décrire, expliquer ou prédire (1) des phénomènes démontrables ou théoriques suivant la méthode scientifique.

Une question qui me revient souvent à l’esprit se rapporte aux manières que l’entreprise scientifique se déroule. Ainsi, que dois-je savoir et comment me préparer pour devenir un professeur à l’université qui dirige un laboratoire de recherche ? En faisant une recherche sur le sujet, je me suis aperçu qu’il y avait un parallèle à faire entre l’entrepreneuriat et la science. J’ai alors pu découvrir ce qu’était un entrepreneur de la connaissance (2).

Selon Bernie Carlson, professeur à Université de Virginie, il est possible de distiller cinq habitudes, ou qualités, adoptées par des entrepreneurs de la connaissance (3). Je vous résume ici, en mes mots, ces qualités.

1. Définir une question, un problème ou un programme de recherche

Tout d’abord, il faut commencer par chercher ce qui est possible d’étudier dans notre contexte historique. La revue de la littérature, appliquée dans un domaine particulier, est l’exemple le plus commun en science. Elle permet d’établir une connaissance historique du sujet de recherche, auquel un étudiant (chercheur) s’engage à développer une nouvelle question. Cela ne peut qu’aider l’étudiant à comprendre la pertinence, l’urgence ou la justification de son sujet de recherche.

La définition de la question de recherche peut aussi se faire à la lumière d’un projet de recherche à long terme, mais encore à répondre à une urgence suite à des évènements inattendus. Une sècheresse mortelle pour les pinsons sur l’Ile Daphne Mayor (Galápagos), lors de l’étude à long terme de Peter et Rosemary Grant, a été perçue comme fatale pour leur programme de recherche. Mais cet épisode s’est transformé en une opportunité de recherche qui a été une des plus importantes en écologie évolutive des populations naturelles.Tout en cherchant la question à répondre pour notre étude, il faut apprendre à connaître les risques associés à cette recherche. Par risque, je veux dire que le chercheur doit investir des ressources pour répondre à la question précise. Ces ressources peuvent être monétaires (budget de recherche), mais aussi en ressources humaines. Par exemple, est-ce que l’étudiant a les connaissances nécessaires pour répondre au problème ? Comment former cette personne à acquérir les compétences pour répondre à la question ? De plus, il est important de reconnaître si l’on est prêt à prendre ce risque. Certaines questions sont plus audacieuses (4) ou innovantes (5) que d’autres, mais peuvent être plus risquées. Il ne faut pas oublier que la question de recherche doit pouvoir se répondre dans un laps de temps précis. Une même question peut représenter un risque différent si elle est dédiée à un étudiant au baccalauréat, en maîtrise, au doctorat ou d’un projet de recherche à plus long terme. 

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Finalement, pour gérer le risque associé à une question de recherche, il peut être pertinent de savoir si l’on est en mesure de poursuivre cette recherche. Faire un bilan de ses compétences peut aider à reconnaitre nos faiblesses et pallier au manque nécessaire. De quoi avons-nous besoin pour répondre à la question ? Avons-nous besoin de gens qui auraient ces compétences complémentaires ?

2. S’entourer de ressources humaines : formation d’une équipe de travail et entretenir les relations entre membres

Une fois que le problème est défini et la question de recherche établie, des ressources humaines sont la plupart du temps disponibles pour y répondre. Bien que vous ayez travaillé en équipe longtemps depuis le début de vos classes, avez-vous appris comment engager et recruter des gens pour vos projets ? Votre entourage peut vous aider à transformer le problème en opportunité. Que vous ayez toutes les connaissances et compétences à priori pour répondre à votre question de recherche, il est probable que vous ayez besoin de vous entourer de gens pour exécuter des tâches qui à vous seul ne soient pas réalisables. À l’inverse, si vous devez en apprendre plus sur votre sujet de recherche ou comprendre certaines techniques, il serait fort utile de s’entourer de gens qui ont déjà les connaissances qui vous font défaut ou de trouver des gens qui peuvent partager leur savoir pratique. Ainsi, la création d’équipe peut se faire en fonction des besoins et des ressources de votre laboratoire. Ai-je besoin d’un technicien de laboratoire ? Ai-je l’argent pour en engager un ? Est-ce que mes étudiants dans mon laboratoire ont des compétences complémentaires ? Dois-je me trouver un mentor qui peut répondre à mes questions ?Au final, même si vous avez toutes les connaissances pour pouvoir répondre à votre question de recherche, n’est-il pas aussi important de partager vos connaissances pour former une nouvelle génération de scientifique encore mieux formée que la précédente ? Ainsi, le mentorat devrait faire partie de la gestion d’un laboratoire de recherche et devrait être encouragé.


3. Promouvoir son travail

L’entreprise scientifique, du moins celle en milieu académique, est reconnue pour la diffusion de la connaissance. Cela se traduit par plusieurs aspects que nous connaissons très bien : publier dans des journaux, aller à des conférences, présenter une affiche scientifique (7), visiter d’autres laboratoires de recherche, publier dans un blogue, sur les réseaux sociaux, etc.

Promouvoir le travail permet d’engager des discussions, de pouvoir mettre en question, réfléchir, aller plus loin, bref, de pouvoir faire appel à un public plus large pour augmenter les opportunités de collaborations et de nouvelles idées. Cela peut être une opportunité de recruter pour son équipe.

Une manière très fréquente de communiquer son travail est la présentation-ascenseur. Si vous rencontrez une personne dans un ascenseur qui aurait avantage à connaitre votre projet, comment allez-vous lui communiquer succinctement, le temps de la montée de quelques étages, que vous comprenez votre situation dans la littérature, votre question, son importance et ce que ça peut apporter à la personne rencontrer ?

Bref, soyez prêt à tout moment à pouvoir répondre à la question : à quoi bon (« so what ») ?

4. Créer un environnement positif : un ingrédient nécessaire pour apprendre et favoriser la créativité dans le climat de travail sain

En tant que leadeur de votre équipe de travail et projet de recherche, il est préférable de faire en sorte que les interactions entre les personnes qui collaborent (étudiants dans le laboratoire, scientifiques d’un projet à long terme, groupe de recherche interdisciplinaire) soient positives et saines. Bien que travailler en recherche ou étudier dans le milieu académique soit une passion, avoir un climat de travail qui est stimulant est bénéfique pour l’équipe.

Les universités sont des milieux de travail diversifiés. Ceux qui y travaillent ont tout avantage à reconnaitre les bénéfices d’environnements où les cultures se rencontrent et partagent leurs expériences. Il n’y a pas de recette miracle pour créer un environnement sain, mais toutes les personnes travaillant dans son milieu de travail peuvent y contribuer. Ainsi, il devient nécessaire que tout le monde travaillant dans l’équipe s’entende sur des normes pour travailler ensemble.

Une des manières de travailler harmonieusement est de connaitre les principes de la civilité en milieu de travail (8). Gilles Demers est intervenant en organisation chez CFC Dolmen. Il discute (9) de cinq principes en lien avec la civilité : le respect, la collaboration, la politesse, la courtoisie et le savoir-vivre. Selon votre milieu de travail, les codes de conduite peuvent changer. Par contre, une réflexion sur ces principes de bases peut aider significativement à créer un milieu de travail sain.

5. Faire preuve d’éthique et reconnaitre les principes de la science responsable.

La recherche est exécutée par des êtres humains qui ont des valeurs. Il est donc impératif de faire preuve d’éthique, d’ouverture, de sympathie, d’avoir un esprit critique constructif et de situer sa recherche dans un contexte social. Ces valeurs informent plusieurs décisions en science, que cela soit en commençant par le choix de la question de recherche à l’organisation du travail d’équipe et du projet Les recherches jouissent d’une liberté de travail qui est fantastique. Par contre, cette liberté vient avec des responsabilités (10). Ces responsabilités sont autant au niveau de la gestion de leur laboratoire que des responsabilités face aux redevances dues au contribuable de financer la recherche. de recherche. Afficher ses valeurs d’éthique de recherche, de travail et de respect législatif en lien avec le projet de recherche est nécessaire. 

Et si vous connaissez déjà tout cela ?

Suite à des discussions sur ces sujets, on m’a fait part que les scientifiques connaissaient déjà tous ces points. Même si les cinq habitudes entrepreneuriales peuvent sembler évidentes, il est possible de devenir meilleur dans chacune de ces habitudes. De plus, il m’apparait fort peu probable que chaque scientifique sache comment gérer toute situation. En particulier, une preuve frappante de changement dans le milieu académique en ce moment est celui en lien avec la création d’un environnement de travail sain et de faire preuve d’éthique et d’équité. J’encourage chaque laboratoire de recherche de discuter ouvertement de normes de travail en équipe et de modèle de gestion. Quel genre de modèles de gestion de votre entreprise préférez-vous  (11)? Bien que développer ces compétences entrepreneuriales semble ne pas avoir de lien avec l’entreprise scientifique, elles seront bénéfiques pour votre carrière. La responsabilité des scientifiques transcende ladite « accumulation des connaissances ». Elle se situe dans l’organisation même de la science et de son exécution. Que cela soit du moment où la question est posée, aux gens qui vont être mobilisés pour aider à résoudre la question, à l’environnement de travail et à la manière que la science se déroule, il est nécessaire de continuer à promouvoir un écosystème de recherche diversifier et sain.

Références

  1. https://opentext.wsu.edu/carriecuttler/chapter/goals-of-science/
  2. https://en.wikipedia.org/wiki/Knowledge_entrepreneurship
  3. https://www.forbes.com/sites/berniecarlson/2018/01/09/the-knowledge-entrepreneur-a-new-paradigm-for-preparing-tomorrows-engineers-and-scientists/#5a349bd77be2
  4. https://www.youtube.com/watch?v=HD3oCVRDj4w&list=LLpwrOKU4Lu9DoTxyKd02ofg&index=4&t=0s&frags=pl%2Cwn
  5. https://www.nytimes.com/2012/02/26/opinion/sunday/innovation-and-the-bell-labs-miracle.html
  6. https://twitter.com/AlvaroLuna87/status/1124316834805764096 See also: Gannon, F. 2009. A letter to Darwin. EMBO reports 10:1–1.
  7. https://youtu.be/1RwJbhkCA58
  8. https://hbr.org/2013/01/the-price-of-incivility
  9. https://www.youtube.com/watch?v=kTB58KQtUxQ
  10. https://chomsky.info/19670223/
  11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Modèle_d%27entreprise et https://fr.wikipedia.org/wiki/Management

Marc-Olivier Beausoleil est étudiant au Ph.D. à l’Université McGill. Il étudie l’évolution des pinsons de Darwin sur les îles Galápagos et s’intéresse à l’effet de l’urbanisation sur l’évolution de ces oiseaux endémiques. Il est supervisé par Rowan Barrett. Je tiens à remercier Alexandre L. Bourassa pour la révision et les commentaires critiques sur le texte.

http://marcolivierbeausoleil.wordpress.com

Post date: June 01, 2019

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