par Louis Tanguay
Lorsque l’on parle de biodiversité, comme pour toute autre conversation, la plus grande et la plus belle des histoires est celle que l’on se crée. Elle provient de nos perceptions, de nos interprétations, de nos mémoires réelles comme fictives. Cette histoire, lorsque l’on a eu la chance de bercer dans le monde scientifique, ou simplement dans la nature même, est l’une des plus merveilleuses. C’est l’histoire de la vie, l’histoire d’une évolution, d’une transformation, d’une diversité qui se manifeste sous toutes ses formes, et perpétuellement, sans jamais s’en lasser. C’est une effervescence de beauté.
Lorsque l’on est privilégié, on se laisse bercer par ce récit, ces histoires de prédation et de commensalisme, aux couleurs de zooplanctons ou de mutations épigénétiques. Et comme tout ce que l’on aime, on cherche à préserver cette histoire, à la mettre en sécurité pour en prendre bien soin, à la ranger sous clé au fond d’un vieux coffre-fort pour la chérir dans un moment de quiétude, entre deux tempêtes d’un quotidien surchargé. Et voilà ce qu’est, en réalité, la conservation. C’est la protection d’une histoire que l’on chérit et que l’on s’est approprié. La protection de ce que l’on connait et de la valeur que nous lui accordons. C’est une sécurité.
Mais pour ceux qui ne la connaissent pas, cette histoire demeure bien mystérieuse. Elle n’a pas de sens, pas de logique, pas d’humains. Elle est trop loin de ce qu’ils connaissent, loin de leur vie, loin du quotidien. Pour ces gens, il n’y a pas d’histoires à raconter, pas de valeur qui tienne, pas d’attraits. Les autres espèces ne sont que ça, d’autres espèces. Si elles nous nuisent, qu’elles disparaissent. Si elles ne nous nuisent pas, qu’elles se rendent utiles ou ne se mettent au moins pas dans notre chemin. Elles font de beaux fonds d’écran, de beaux livres à colorier pour distraire les enfants, mais leur valeur s’arrête ici. La conservation pour eux n’est peut-être en fin de compte, qu’une histoire pour mieux dormir, un autre film de Walt Disney. Et pourtant, ces gens vivent, mangent, décident, possèdent, tout ce qu’il faut pour sauver ou détruire l’avenir des autres espèces. Alors comment convaincre ces gens de la grande beauté de l’histoire que nous chérissons, et de la nécessité d’en prendre soin?
J’ai eu la chance, dans le cadre d’une nouvelle Chaire de recherche créée au sein du CSBQ – et qui m’a enseveli de bidous pour permettre à bibi de s’y impliquer – de participer à des ateliers qui regroupaient divers acteurs de la conservation dans deux régions de la province. Ces ateliers avaient comme objectif de prendre le pouls des parties prenantes afin d’en venir à comprendre l’acceptabilité sociale des mesures de conservation de la faune. Mais pourtant, malgré cela, malgré un objectif prometteur, cette belle histoire, l’histoire de la vie, manquait terriblement aux discussions. Même ceux qui la connaissent osaient à peine élever la voix pour en parler, de peur d’être jugés peut-être, car ce n’est pas sérieux. Ce n’est pas une histoire civilisée. L’on parle de lois, de gestionnaires, d’administrateurs, de tordeurs de rêve et de rapailleurs de papier, mais l’histoire de la vie demeure une grande oubliée. Comment, alors, peut-on même songer à discuter d’acceptabilité sociale si nous avons trop peur de partager notre histoire? Comment croit-on convaincre les sceptiques si notre trésor demeure enterré? L’histoire de la vie en est une à partager. L’émerveillement de notre connaissance doit s’envoler, franchir de nouvelles frontières, conquérir de nouveaux esprits. Il faut publier, et pas seulement pour les initiés, mais aussi pour tous. Il faut parler, et pas seulement à ceux qui s’y connaissent, mais aussi à ceux qui ignorent. Il faut enseigner la beauté de cette diversité pour que tous la comprennent et y accèdent. Si l’on veut pouvoir même commencer à parler d’acceptabilité, il faut inviter tout le monde à rêver, pas seulement ceux qui savent déjà comment faire.
Mes intérêts de recherche se trouvent à la frontière entre les systèmes sociaux et les systèmes naturels. J’ai obtenu mon doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAM sous la direction de Stéphane Bernard, et dans le cadre duquel j’ai étudié les dynamiques socio-écologiques ayant évolué au sein de paysages ruraux des hautes terres javanaises. Ce parcours m’aura mené vers des recherches postdoctorales, d’abord à l’Université Laval, sous la direction de Jean-François Bissonnette, et afin de travailler à la mise sur pieds d’une Chaire de recherche sur les enjeux sociaux de la conservation; et ensuite dans le cadre d’un projet de recherche international regroupant des chercheurs de l’UQAM, de l’INRS et d’outremer, et ayant pour but d’étudier l’évolution prospective de l’utilisation et de l’état des écosystèmes d’eau douce en climat tempéré.
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