par Céline Jacob
Dans une vie de chercheur, il est toujours bon d’avoir plusieurs cordes à son arc! En tant que post-doc en sciences humaines et sociales utilisant majoritairement des approches qualitatives, j’avais suivi avec curiosité, depuis plusieurs années, des travaux utilisant la modélisation multi-agents sans arriver à franchir le cap et à me former sur le sujet. Et j’ai enfin pu m’initier à ces approches en participant à l’Ecole d’été internationale et multi-plateforme sur la modélisation et la simulation multi-agents appliquées à la gestion des ressources renouvelables (MISS-ABM) organisée en septembre 2019 par le CIRAD à Montpellier, en France.
Mais qu’est-ce que la modélisation multi-agents et en quoi cela peut être intéressant quand on travaille, comme moi, sur l’analyse institutionnelle et les jeux d’acteurs dans le cadre de la mise en œuvre des politiques publiques environnementales (par ex. l’application du principe de compensation écologique aux milieux humides et hydriques au Québec !) ? Normalement, je m’appuie sur des entretiens semi-directifs auprès de divers acteurs intervenant dans la gouvernance environnementale (ministères, organismes de bassins versants, ONGs, etc.) pour essayer de décrypter les processus de prises de décision. Cependant je voulais me servir de mes études empiriques sur les perceptions, les décisions et les actions de mes acteurs pour la modélisation de systèmes socio-écologiques complexes et donc passer des raisonnements qualitatifs des personnes à des données quantitatives formelles.
La modélisation multi-agents permet, entre autres, de représenter de manière explicite les aspects qui caractérisent la complexité du processus de décision collective et d’en préciser les mécanismes. Par exemple, en matière de décision, de nombreuses études s’appuient sur la théorie économique faisant l’hypothèse de la rationalité économique des agents. Pour simplifier, l’agent se comporte en « homo oeconomicus », c’est-à-dire il prend des décisions de manière à maximiser ses gains. Bien sûr, d’autres théories viennent la compléter, notamment, celle de la rationalité limitée, précise que la capacité de décision d’un individu peut être altérée par le manque d’information, des biais cognitifs ou le manque de temps.
On peut aussi faire appel à d’autres cadres théoriques en sciences sociales pour expliquer la prise de décision. Si l’on revient à mon exemple de compensation écologique et aux choix des sites pour la restauration des milieux humides, je pourrais m’appuyer sur la théorie de la diffusion de l’information au sein d’un réseau d’acteurs et donc examiner l’importance de l’influence des caractéristiques de la compensation proposée (par ex. les gains écologiques attendus), des agents (par ex. leur place dans le réseau social) et celles des sites dégradés (par ex. l’état initial des services écosystémiques sur le site détérioré) sur l’adoption de nouvelles pratiques de restauration écologique.
Donc voilà, j’étais à la recherche d’approches qui me permettraient d’élaborer un cadre d’analyse qui correspondrait plus aux comportements que j’observe dans la réalité lors de mes entretiens, ce qui se rapporte dans le schéma ci-dessous, issu de la formation MISS-ABMS, aux modèles KIDS « Keep it Descriptive Stupid ». Ces derniers permettent d’étudier l’émergence de comportements à partir d’interactions complexes observées dans des études de cas. Mais vous pouvez aussi concevoir des « Serious Game » et de la modélisation participative dans le cadre des KILT « Keep It a Learning Tool » pour interagir avec des acteurs ou faire appel au KISS « Keep It Simple, Stupid » pour des modèles plus conceptuels.
J’ai ainsi participé à cette formation de deux semaines s’adressant à tous, quel que soit son niveau (par exemple, moi je n’avais utilisé aucune des 3 plateformes proposées : GAMA : https://gama-platform.github.io/wiki/Home, Netlogo : https://ccl.northwestern.edu/netlogo/ et Cormas : http://cormas.cirad.fr/). Cette école d’été alterne cours et travail sur notre propre modèle que nous avons dû présenter en fin de session. Elle est encadrée par une équipe de développeur expérimenté fort sympathique et a rassemblé des étudiants à la maîtrise, au doctorat, des post-doctorants et des chercheurs venant de tous horizons géographiques et thématiques. Une super occasion de se former à de nouvelles approches dans un cadre stimulant et si cela vous tente de continuer l’aventure, elle vous ouvre aussi les portes d’un beau réseau de chercheurs dans le domaine. La formation a lieu chaque année, donc n’hésitez pas à jeter un coup d’œil à leur site !

Le Page, 2019, adapté de Schlüter et al., 2019 (Formation MISS-ABMS)

Céline Jacob réalise actuellement son stage postdoctoral à l’UQO dans le laboratoire d’économie écologique de Jérôme Dupras sur la mise en place du nouveau règlement sur la compensation des milieux humides et hydriques au Québec et sur la résilience des populations côtières aux changements climatiques dans l’estuaire et le golfe du Saint Laurent. Céline s’intéresse aux modes de gouvernance environnementale et aux instruments de gestion de la biodiversité. Elle a obtenu son doctorat en géographie à l’université Paul-Valéry Montpellier en 2017 portant sur l’application de la compensation écologique aux écosystèmes marins en partenariat avec le bureau d’études en environnement CREOCEAN.
Researchgate
Twitter: @ClineJacob2
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