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La face cachée des technologies

par Chloé L’Ecuyer-Sauvageau

Le 14 novembre 2019, au Cœur des Sciences de l’UQAM, le journaliste Guillaume Pitron a donné une conférence sur son livre « La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique » (2018). 

La thèse de ce livre porte sur le fait que la transition énergétique et l’innovation technologique permettent, oui, de délaisser les énergies fossiles, mais que ceci se fait au profit d’une autre forme d’extraction minière, soit celle des métaux rares. Ce transfert d’une dépendance envers les énergies fossiles au profit des métaux rares crée plusieurs enjeux de gestion des ressources, de production, de même que des enjeux géopolitiques. 

Selon Félix Gervais, professeur adjoint au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal (Les années lumières, 4 mars 2018 (1)), les métaux rares sont assez abondants dans le monde et leur intérêt réside dans leurs propriétés très intéressantes, que ce soit pour produire la couleur dans les écrans, pour leur utilisation dans la production de fibre optique, pour le polissage, pour la production d’aimants, etc. Ces métaux sont nécessaires au fonctionnement d’un bon nombre d’appareils utilisés au quotidien, particulièrement les appareils électroniques, dont les téléphones, les ordinateurs et les voitures électriques. Ils sont aussi présents dans les composantes électroniques qui permettent la production d’énergies renouvelables, dont les panneaux solaires et l’énergie éolienne. Plusieurs métaux rares sont aussi utilisés en agriculture, en médecine et dans les technologies industrielles et militaires. Les métaux rares sont d’ailleurs nécessaires à la miniaturisation, qui a permis de développer des technologies plus compactes, plus légères, moins énergivores, plus puissantes et portatives (2). Les propriétés magnétiques des aimants au néodyme, par exemple, sont plus puissants que les aimants conventionnels. Donc leur utilisation dans les ordinateurs portables permet d’emmagasiner plus d’informations et permet un contrôle plus fin des moteurs (3).

Lors de la conférence, Guillaume Pitron mentionnait toutefois que les métaux rares se retrouvent le plus souvent sous forme d’alliages. Ils sont donc difficiles à séparer des autres composantes et il devient très difficile de les revaloriser, en particulier puisque le prix des matières premières sont si faibles. Cette absence de réemploi combiné à une consommation importante des produits électroniques cause de nombreux problèmes lors de la gestion en fin de vie de ces produits. Les produits électroniques sont considérés comme des déchets dangereux et comme tel, ils sont soumis à la convention de Bâle. Cette convention statue que l’exportation de produits dangereux est interdite. Pourtant, il y a des exportations massives de ces déchets vers le Ghana, notamment, avec des impacts environnementaux et sanitaires (4). On assiste donc ici à un problème de gaspillage de ressources, surtout en considérant le phénomène de l’obsolescence programmée, combiné à des enjeux de justice environnementale. 

Tout n’est pas rose non plus en ce qui concerne l’extraction et le raffinage. Contrairement à d’autres métaux, comme le cuivre ou le fer, les métaux rares se retrouvent toujours sous formes d’éléments traces dans des minéraux, qui eux, sont souvent radioactifs (Girard, Les années lumières, 4 mars 2018). Leur extraction est donc plus difficile, requiert beaucoup d’énergie et induit des rejets d’éléments toxiques, dont des éléments radioactifs (Girard, Les années lumières, 4 mars 2018). L’enjeu de la radiation est entre autres ce qui a sonné le glas de la production de terres rares à La Rochelle, en France, par l’entreprise Rhône-Poulenc (Pitron 2018). D’autre part, la pollution environnementale et les effets sur la santé causées par l’extraction de terres rares est notable en Chine, particulièrement en Mongolie intérieure, où sont extraites les quantités les plus importantes de métaux rares (5). 

En somme, l’idée que la transition énergétique soit dématérialisée et sans conséquences pour l’environnement et la santé est fausse. Cette transition se fonde plutôt sur un déplacement des charges environnementales vers des pays qui acceptent pour l’instant les conséquences environnementales et sanitaires de ces productions. Il s’agit ici d’un enjeu éthique, mais qui devient aussi un enjeu géopolitique. En effet, en raison de la concentration de l’extraction et du raffinage des terres rares dans certains pays, notamment la Chine (Commission Européenne (6)), Guillaume Pitron fait l’argument que les pays exportateurs voudront vendre des produits à haute valeur ajoutée qui les contiennent et non simplement vendre leurs ressources primaires à prix dérisoire. Les pays importateurs seraient alors vulnérables à la hausse des prix, d’autant plus si le virage technologique est achevé et qu’il n’y a pas, ou si peu, d’acceptabilité sociale pour de l’extraction minière dans les pays importateurs. 

Quelles solutions, alors, pour une transition écologique et énergétique juste et durable? De son côté, Guillaume Pitron ne remet pas en question la transition technologique, ni l’importance de la croissance économique. Dans la conférence, il proposait plutôt de miser sur l’économie circulaire et sur l’extraction minière, pour permettre une meilleure utilisation des ressources extraites, puis pour faire un contre-pouvoir et réduire la dépendance envers la Chine. Mais il existe d’autres points de vue, dont ceux proposés par des groupes de la société civile comme le mouvement pour la décroissance (7) ou le mouvement des villes en transition (8). Ceux-ci sont suggèrent plutôt de revoir notre modèle économique, qui repose sur une consommation toujours plus grande de ressources, et d’adopter des solutions locales et communautaires pour la transition. 

Chloé L’Ecuyer-Sauvageau est candidate au doctorat à l’Université du Québec en Outaouais sous la supervision de Jérôme Dupras. Dans sa thèse, elle cherche à explorer comment différents programmes et incitatifs en milieu agricole peuvent affecter la production de services écosystémiques à travers leurs effets sur les comportements et sur les préférences des acteurs.


Références

  1. 1. https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/les-annees-lumiere/segments/chronique/61815/science-penurie-terre-rare-metaux-produits-technologiques
  2. 2. Ibid; Kevin VERMAST, 2012. “Management de l’innovation. Miniaturisation des composants et évolution de la mirco-informatique INNOVATION MANAGEMENT. COMPONENTS MINIATURIZATION AND MICRO INFORMATICS EVOLUTION,” Working Papers 250, Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation. ULCO / Research Unit on Industry and Innovation. 
  3. 3. Boothroyd, 2011 http://www.newelectronics.co.uk/article-images/36711/P16-18.pdf
  4. 4. https://www.france24.com/fr/20190614-reporters-dechets-electroniques-ghana-agbogbloshie-decharge-poubelle-europe-environnement; https://www.lenouvelliste.ca/actualites/les-e-dechets-sonnent-le-glas-du-ghana-1c09d4f6c8302a3b464fe2eada91cdff
Post date: January 31, 2020

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