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La perle cachée d’Haïti

Le Prix d’Excellence du CSBQ a permis d’apporter une contribution significative à mon projet de maîtrise sur la délimitation d’espèces chez Gesneria viridiflora. Cette plante retrouvée dans les Antilles qui comprend quatre sous-espèces morphologiquement, géographiquement et écologiquement distinctives. Les plantes sont pollinisées par les colibris et les chauves-souris. Une des sous-espèces, celle majoritairement retrouvée en Haïti a été peu récoltée et est peu connue comparativement aux autres sous-espèces. Je me suis donc, davantage intéressé à celle-ci et j’ai eu la chance de rencontrer des professionnels en botanique et agronomie en Haïti en mai dernier en pleine saison des pluies.

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Premièrement, par le biais d’une conférence, j’ai eu la chance de partager le but de mon projet aux agronomes, aux étudiants en agronomie des Cayes et à certains professionnels gouvernementaux concernés. Le tout s’est passé en grande convivialité sous l’ombre des grands palmiers et manguiers de la cour chaleureusement aménagée de l’hôtel Le Manguier aux Cayes. Les échanges établis avec ces gens ont permit de connaître la réalité tout autre de ce pays grâce aux propos enrichissants des gens qui partagent les mêmes intérêts pour la botanique et la protection de l’environnement et des espaces naturels en Haïti. En plus de ces merveilleux échanges, nous avons fait des visites sur le terrain accompagnées d’agronomes de la région. Suite à des décennies de déforestation persistante, le couvert forestier ne totalise pas plus de 1,5% de la superficie terrestre du pays, tandis que les aires protégées représentent à peine 0.30% de la superficie du pays, ce qui engendre d’importants problèmes environnementaux et d’érosion des sols.

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Des populations de Gesneria viridiflora ont donc été recherchées à l’intérieur du Parc national Pic Macaya et du Parc national La Visite. Les agronomes qui connaissent bien le territoire et les types de végétation retrouvés sur les hauteurs dans la cloudforest ont été d’une aide bien précieuse pour repérer des collines aux noms biens mystérieux dont on voyait les noms dans les récoltes historiques. Au parc national Pic Macaya au cœur de la grande péninsule de Tiburon sont retrouvés les plus hauts sommets et les endroits les plus sauvages du pays. De la plaine cultivée de jardins sous les chaudes températures tropicales aux plus fraîches et très humides forêts de pins des sommets en passant par la dense et très diversifiée forêt humide sur calcaire, le parc recèle des paysages et environnements qui ont été vus et visités par peu de gens auparavant. L’accès est difficile et requiert plus d’une dizaine de km de marche en chemin rocheux, boueux et difficile avant d’arriver au village de Formon qui est comme un oasis en plein cœur des nuages. C’est un endroit sans électricité, ni engin à moteur où on vit au rythme de la nature et au son des créatures nocturnes de la forêt tropicale. Les forêts humides sur calcaire vers 1000m d’altitude retrouvées en périphérie du village contiennent la plus grande diversité de plantes de l’endroit et le plus grand nombre de plantes endémiques de toute l’île d’Hispaniola. Dans les forêts les moins perturbées ont les roches recouvertes de luxuriantes mousses, de grands arbres complètement recouverts de plantes épiphytes y croissent et on y entend les bruits de la faune. Malheureusement, le parc subit une forte pression de déboisement par la population humaine locale qui cherche à subvenir à ses besoins primaires. La dégradation de l’environnement est assez importante et est une raison pouvant expliquer pourquoi nous n’avons retrouvé aucune population de Gesneria viridiflora dans cette région après plusieurs jours de recherche intensive.

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Au Parc national La Visite, à vol d’oiseau entre Port-au-Prince et Jacmel, on retrouve une mosaïque de forêts de pins et des cloudforests aux altitudes plus basses près des rivières et des cascades. Par jours clairs, l’on voit aisément la Mer des Caraïbes par une altitude de 1800m, c’est littéralement les Antilles comme vous ne les aurez jamais vues! Ce parc subit aussi une forte pression de déforestation par la population locale et la Fondation Séguin travaille à la conservation de l’intégrité du parc et implique la population à ces objectifs. Des agronomes de la fondation nous furent d’une grande aide pour repérer les étroites et éparses cloudforests dans le parc. Plusieurs espèces intéressantes furent retrouvées, mais c’est seulement à la dernière après-midi d’exploration sur le terrain que l’on retrouva une population de Gesneria viridiflora. Cette espèce avait été caractérisée comme commune dans les années 80 se trouve aujourd’hui à être assez rare et difficile à retrouver, ce qui se reflète probablement par une incessante déforestation et dégradation de l’habitat.

Cette expérience sur le terrain démontre l’importance de connaître la biodiversité et les espèces qui composent les écosystèmes. Un bon nombre d’espèces de la famille des Gesneriaceae ont été récoltées dans ces magnifiques forêts très peu explorées par les scientifiques. Cet exemple de dégradation avancée de l’environnement naturel montre bien les effets négatifs d’une mauvaise gestion des ressources naturelles et biologiques sur une population humaine qui dépend fortement des ressources environnantes. Ces gens ont le cœur aussi grand qu’ils ont le cœur à l’ouvrage, une merveilleuse remise en perspective humaine. Cette expérience sur le terrain était sans aucun doute hors du commun et cette aventure fait partie des événements qui marqueront ma vie et la personne que je suis.

François Lambert, M.Sc., Université de Montréal, Institut de recherche en biologie végétale.

Post date: October 10, 2014

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