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L’accéléromètre : un espion du mouvement

par Elouana Gharnit

Les nouveaux progrès réalisés dans le domaine des micro-technologies (GPS, accéléromètres, thermotrons, etc.) offrent d’immenses possibilités pour suivre les animaux dans leur milieu naturel et accéder à certains aspects de leur écologie ou de leur métabolisme jusqu’ici difficilement accessibles. Par exemple, décrire le mouvement dans l’espace d’un animal peut nous renseigner sur ses stratégies de recherche alimentaire, son utilisation de l’espace, sa vitesse de déplacement, ses budgets d’activités quotidiens et sa dépense énergétique. Au cours de mon doctorat à l’UQAM, j’ai eu l’occasion d’utiliser l’une de ces techniques pour en savoir plus sur l’activité d’un petit rongeur, le Tamia rayé (Tamias striatus) : la mesure de l’accélération du corps.

De (plus en plus) petits appareils enregistreurs, attachés au corps de l’animal, mesurent l’accélération du corps sur trois plans orthogonaux dans l’espace (X ; Y ; Z). La somme des accélérations sur ces trois axes représente l’accélération globale dynamique du corps et peut servir d’indicateur d’un certain nombre de paramètres du mouvement et du métabolisme. L’accélération globale dynamique du corps est notamment corrélée à la vitesse de déplacement et à la consommation d’oxygène chez de nombreuses espèces animales et peut ainsi servir de bon descripteur de la dépense énergétique quotidienne. L’accélération partielle du corps sur chacun des axes en particulier peut, quant à elle, nous renseigner sur des types de mouvements spécifiques ou de comportement type (ex. courir/dormir/marcher/voler, Fig. 1). L’enregistrement peut se faire à très fine échelle temporelle telle que 10 ou 100 fois par seconde ! Cette approche offre donc un moyen précis, standardisé et à court ou moyen-terme d’explorer les différences entre les individus dans leurs utilisations de l’espace et du temps, un atout certain en écologie comportementale.

Application chez le tamia rayé

Depuis 2005, une petite population tranquille de tamias rayés (Tamias striatus) du Sud du Québec est espionnée et traquée jusque dans leurs terriers. Depuis plus de 15 ans dans la réserve naturelle des Montagnes Vertes en Estrie (Québec, Canada), le laboratoire de Denis Réale tente de comprendre comment se comporte ce petit rongeur diurne et territorial dans son environnement naturel, par un trappage régulier (Capture-marquage-recapture, Fig. 2 gauche), un peu de beurre d’arachide et beaucoup de sueur ! Au cours de mon doctorat, je me suis notamment intéressée aux différences de niveau et de rythme d’activité entre les individus de cette espèce afin de vérifier si elles étaient reliées à leurs traits de personnalité. À l’aide de petits accéléromètres, montés en collier autour du cou des animaux (Fig. 2 droite), j’ai mesuré l’accélération du mouvement d’une trentaine d’individus pendant plusieurs semaines au printemps 2016 et 2017.

À une fréquence de 10 Hz (10 mesures/sec), j’ai obtenu plus de 500 jours d’enregistrements au total et de (bien trop) grands fichiers de données. Une fois apprivoisées, ces données révèlent des choses intéressantes. Par exemple, on peut représenter une activité quotidienne type (Fig. 3A) avec l’heure des premiers lève-tôt ou des couche-tard ! On peut également découvrir que certains tamias aiment faire une petite sieste au milieu de la journée (Fig. 3B) : sur ces 12 heures d’enregistrement de jours, observez les périodes d’activités (fortes variations, en noir) et les périodes où l’animal semble ne pas bouger (une ligne nette plus fixe).

De manière plus précise et à partir des accélérations dynamiques obtenues, le niveau et la structure de leur activité quotidienne (durée et fréquence) peuvent être reliés à tout un jeu de variables environnementales d’intérêt. L’accéléromètrie est une méthode qui offre une large gamme de possibilités excitantes en écologie comportementales ou fonctionnelles et qui, j’espère, peuvent inspirer vos futurs projets. Encore mieux : il existe déjà des couplages GPS/accéléromètre/thermomètre miniaturisés qui permettent encore mieux aux écologistes de jouer aux espions professionnels.

P.S.: Savez-vous qu’un accéléromètre est caché dans chacun de vos téléphones intelligents, afin de faire pivoter votre caméra ?

Les plus !

Les accéléromètres permettent de mesurer en temps réel, à une fréquence fixe et fine les mouvements de l’animal, sans être trop invasif.

La batterie dure une période de temps assez longue (2 à 3 semaines pour un réglage à 10Hz) et malgré les tribulations de l’animal au dessus ou en dessous de la terre, l’appareil reste solide.

Le paramétrage des appareils est très intuitif (à partir d’un logiciel installé sur l’ordinateur).

Les limites :

L’interprétation des signatures des accélérations doit être faite avec prudence si le paramétrage ou la pose de l’appareil n’est pas fait correctement. Il est très recommandé de lire en détails la littérature scientifique afin de déterminer par exemple les cycles du mouvement de votre animal d’étude (qui diffère fortement entre un micromammifère et un caribou par exemple).

Pour affiner la description des signatures d’accélérations, il est préférable de coupler les enregistrements d’accélérations à de l’observation naturelle ou sur caméras afin de valider les séquences comportementales.
Au préalable, il est également important de penser comment disposer l’accéléromètre sur le corps de l’animal afin qu’il ne bouge pas, ne soit pas détérioré et ne gène pas l’animal dans son activité quotidienne (en collier, collé sur le dos, etc.). C’est d’autant plus important dans le cas où les comportements particuliers veulent être scrutés sur chaque axe distinctement.  

Les fichiers de données brutes obtenus peuvent correspondre à plusieurs millions de lignes sur Excel, ce qui demande un gros travail de traitement avant de pouvoir effectuer des analyses statistiques sur l’accélération extraite. Par exemple, il est possible de découper en fichiers de 24h et de réaliser des boucles dans R afin d’extraire les accélérations moyennes par période de temps.

Le prix reste encore un peu élevé (environ 600$ pour un appareil) et le risque de le perdre dans la nature est donc un coût à prendre en compte (contrairement aux GPS qui peuvent être retrouvés une fois décrochés).

Pour en savoir plus sur notre laboratoire :

À l’aide du suivi comportemental des tamias rayés québécois, des campagnols Ontariens, des mésanges bleues de Corse ou encore des éléphants de mer en Terres Australes, les membres du laboratoire de Denis Réale à l’UQAM tentent de comprendre  d’où provient la variation comportementale intraspécifique (c.-à-d., personnalité) et quelles sont ses implications sur les processus écologiques et évolutifs.
Grâce à la bourse d’excellence du CSBQ, j’ai pu aller raconter une petite histoire de tamia à la conférence annuelle de l’ISBE, The international society of Behavioural Ecology, à Minneapolis (USA) en août 2018 : « Le tamia rayé : Végétarien ou carnivore ? Une histoire de sexe et de personnalité ». Mais ceci est une autre histoire, à suivre …

Pour plus de détails sur la méthode ou sur les petits suisses :

Elouana Gharnit
elouanagharnit@hotmail.com

Après un baccalauréat en Biologie des Organismes en France (Rennes), j’ai fait deux maîtrises en Biodiversité, Écologie et Évolution à l’université Paul Sabatier (Toulouse, France) et en Histoire des Sciences et des Techniques à l’Université de Nantes (France). Ma thèse portait sur le lien entre prise de risque, blessures et performance locomotrice chez le lézard des murailles (Podarcis muralis). J’ai ensuite réalisé mon doctorat dans le laboratoire de Denis Réale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) sur le lien entre la personnalité et la spécialisation individuelle de niche écologique chez le Tamia rayé (Tamias striatus). Je travaille actuellement comme auxiliaire d’enseignement à l’UQAM en attendant de défendre ma thèse. Passionnée de comportement et de nature, j’aspire à présent à diversifier mes expériences de recherche et de terrain dans d’autres écosystèmes et sur d’autres modèles d’études.

Références

Elliott, K. H., M. Le Vaillant, A. Kato, J. R. Speakman, and Y. Ropert-Coudert. 2013. Accelerometry predicts daily energy expenditure in a bird with high activity levels. Biology Letters 9:20120919.
Elliott, K. H., K. J. Woo, and S. Benvenuti. 2009. Do activity costs determine foraging tactics for an arctic seabird? Marine Biology 156:1809–1816.
Green, J. A., L. G. Halsey, R. P. Wilson, and P. B. Frappell. 2009. Estimating energy expenditure of animals using the accelerometry technique: activity, inactivity and comparison with the heart-rate technique. Journal of Experimental Biology 212:745–746.
Halsey, L. G., E. L. C. Shepard, F. Quintana, A. Gomez Laich, J. A. Green, and R. P. Wilson. 2009. The relationship between oxygen consumption and body acceleration in a range of species. Comparative Biochemistry and Physiology Part A: Molecular & Integrative Physiology 152:197–202.
Nathan, R., O. Spiegel, S. Fortmann-Roe, R. Harel, M. Wikelski, and W. M. Getz. 2012. Using tri-axial acceleration data to identify behavioral modes of free-ranging animals: general concepts and tools illustrated for griffon vultures. Journal of Experimental Biology 215:986–996.
Welcker, J., J. R. Speakman, K. H. Elliott, S. A. Hatch, and A. S. Kitaysky. 2015. Resting and daily energy expenditures during reproduction are adjusted in opposite directions in free-living birds. (R. Wilson, ed.) Functional Ecology 29:250–258.

Post date: October 12, 2019

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