par Sabrina Rondeau
Le
déclin mondial des pollinisateurs et la perte des services de
pollinisation qui en découlent est une problématique de plus en
plus connue du public. Entre autres, les importantes pertes de
colonies d’abeilles domestiques auxquelles les apiculteurs font
face partout à travers le monde suscitent beaucoup d’inquiétudes.
Dans la plupart des régions tempérées, la majeure partie des
pertes de colonies se produit durant l’hiver et depuis plusieurs
années, au Québec et au Canada, la mortalité hivernale des
colonies d’abeilles demeure plus élevée que le seuil de 15%
considéré acceptable par les apiculteurs. Le consensus scientifique
attribue ces mortalités d’abeilles à de multiples facteurs, dont
des conditions climatiques défavorables, l’intensification
agricole et la présence de maladies et de parasites.
À
la rescousse des abeilles… vraiment?
Au
cours des dernières années, l’apiculture a grandi en popularité
et le nombre d’apiculteurs amateurs a augmenté considérablement.
Au Québec, par exemple, plus de 60% des entreprises apicoles
enregistrées auprès du Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries
et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) possédaient moins de 10
colonies d’abeilles en 2017, représentant au total environ 2% des
colonies d’abeilles du Québec [1].
Ici, la sensibilisation du public aux problématiques touchant les
abeilles semble être en cause : des citoyens amateurs
souhaitent venir en aide aux abeilles en se procurant leurs propres
ruches. Malheureusement, malgré les bonnes intentions se cachant
derrière cette pratique, il ne s’agit peut-être pas de la
meilleure solution au problème.

L’abeille domestique: Apis mellifera.
Au
cours de ma maîtrise, j’ai participé à plusieurs colloques et
rencontres d’associations apicoles de niveaux provincial, national
et international. J’ai ainsi pu discuter avec de nombreux
apiculteurs : certains très expérimentés possédant plusieurs
centaines (voir milliers) de colonies, et des novices possédant à
peine deux ou trois colonies. La différence d’expertise et de
connaissances entre ces deux groupes d’apiculteurs est frappante,
les novices ayant souvent comme motif « d’aider les
abeilles » tout en étant très peu outillés pour y arriver.
Ce manque d’expertise peut malheureusement engendrer des
conséquences néfastes et nuire davantage à nos pollinisatrices
bien-aimées.
Selon
une récente étude épidémiologique paneuropéenne, les apiculteurs
amateurs possédant de petits ruchers et peu d’expérience en
apiculture subiraient des mortalités hivernales deux fois plus
élevées par rapport aux apiculteurs professionnels [2].
Les colonies d’abeilles gérées par les apiculteurs amateurs
présenteraient aussi plus de signes de maladies que celles gérées
par les apiculteurs commerciaux. Considérant le fait que l’abeille
domestique soit une espèce dite « gérée par l’homme »,
il va de soi que la survie des colonies d’abeilles dépend de
l’éducation des apiculteurs et de la façon dont ils contrôlent les
maladies. Ainsi, le niveau d’expérience de l’apiculteur de même
que ses pratiques apicoles semblent être en lien direct avec les
pertes de colonies d’abeilles. Par exemple, les apiculteurs ayant de
meilleures connaissances sur la détection et la gestion des maladies
et qui appliquent des mesures prophylactiques précoces et de bonnes
pratiques apicoles (ex. bonne préparation des colonies pour l’hiver)
bénéficient de taux de mortalité inférieurs.
Apiculteurs
amateurs : soyez renseignés
Que
ce soit par contact direct ou indirect, par la dérive des abeilles
entre les colonies ou via le pillage des colonies plus faibles par
les colonies plus fortes, les maladies d’abeilles se propagent
rapidement entre les colonies d’un même rucher, de même que d’un
rucher à l’autre. Ainsi, une mauvaise gestion de la santé de
quelques colonies d’abeilles gérées par un apiculteur non
expérimenté peut rapidement compromettre les efforts de gestion des
apiculteurs professionnels à proximité. Ici, l’idée de départ
qui était d’aider les abeilles provoquera plutôt l’effet
contraire.
La
maîtrise de l’apiculture est un art, une science qu’il faut
s’assurer de bien comprendre avant de se lancer dans sa pratique.
Évidemment, le but de ce billet n’est pas de décourager
l’apprentissage de l’apiculture, mais plutôt de conscientiser
les amateurs à l’importance d’être bien formés et outillés
avant de se lancer dans l’acquisition de colonies d’abeilles. Une
bonne formation, du mentorat par un apiculteur professionnel ou
l’aide d’un conseillé apicole sont des stratégies qui peuvent
favoriser l’apprentissage du métier/hobby en vue d’assurer le
bien-être de vos futures abeilles (et de celles de vos voisins!).

Abeilles sauvages. De gauche à droite: Agapostemon sp. ; Bombus sp. ; Andenidae. Photos: Alexander Wild.
Faites-le
pour les bonnes raisons
Auprès
du public, l’abeille domestique est devenue un véritable symbole de
conservation de l’environnement. Cependant, bien que l’espèce soit
extrêmement utile à l’agriculture, elle a bien peu à voir avec
la préservation de la biodiversité. S’il est vrai que plusieurs
espèces d’abeilles sauvages jouant un rôle vital pour les
écosystèmes sont actuellement menacées, c’est loin d’être le
cas de l’abeille domestique. Attention! Je ne dis pas pour autant
que l’abeille domestique se porte bien. Au contraire, elle aussi
est affligée par de multiples maladies et parasites, des
intoxications aux pesticides ou d’un manque de ressources florales
pour satisfaire son développement. Par contre, puisqu’il s’agit
d’une espèce d’importance économique, l’homme est là pour en
prendre soin! En fait, grâce aux efforts acharnés et au dévouement
des apiculteurs, le nombre de colonies d’abeilles domestiques est
en constante croissance au Québec et au Canada [3].
Loin d’être inutiles, il faut toutefois garder en tête que les
efforts mis en place pour conserver l’abeille domestique
bénéficieront surtout au secteur agricole, ainsi qu’à assurer la
sécurité alimentaire humaine. En outre, bien que plusieurs des
stratégies mises en place pour aider l’abeille domestique soient
aussi bénéfiques pour les abeilles sauvages (réduction de
l’utilisation de pesticides, aménagements fleuris, etc.),
l’acquisition de ruches par des amateurs n’en fait certainement
pas partie.
Envie
d’aider la biodiversité?
Si
l’apiculture amatrice n’est pas la solution au problème, alors
comment pouvons-nous donner un coup de main aux abeilles et favoriser
leur conservation? Protéger les habitats naturels à proximité des
agroécosystèmes et aménager des environnements favorables aux
pollinisateurs font partie des stratégies à mettre en place pour y
parvenir. En outre, voici quelques conseils utiles et faciles à
appliquer afin d’aider (pour vrai!) les abeilles : planter des
fleurs mellifères ou des arbres fruitiers, installer des nichoirs
pour abeilles sauvages [4],
éviter l’utilisation de pesticides domestiques, favoriser l’achat
de produits biologiques, installer un point d’eau dans votre
jardin, soutenir des associations de protection des pollinisateurs,
et (à ne pas négliger!)… sensibiliser vos proches!

Nichoir pour abeilles sauvages. Photo : Gilles San Martin.
Références
1.
Ferland, J. (2017, novembre). Les différents enjeux sanitaires
apicoles au Québec et les activités du MAPAQ en apiculture.
Communication présentée à la Journée d’information apicole de
la Fédération des apiculteurs du Québec. Drummondville, Québec.
2.
Jacques, A., Laurent, M., Ribiere-Chabert, M., Saussac, M., Bougeard,
S., Budge, G. E., … Consortium, E. (2017). A pan-European
epidemiological study reveals honey bee colony survival depends on
beekeeper education and disease control. Plos One, 12(3)
3.
Leboeuf, A., Nasr, M., Ferland, J., Wilson, G., Jordan, C., Kempers,
M., … Van Westendorp, P. (2016). Rapport sur la mortalité
hivernale de colonies d’abeilles au Canada (2016).
4.
Moisan-De Serres, J., Bourgouin, F., & Lebeau, M.-O. (2014).
Pollinisateurs et plantes mellifères : guide d’identification et de
gestion. Québec: Centre de référence en agriculture et
agroalimentaire du Québec.
Sabrina Rondeau est étudiante à la maîtrise en biologie
végétale à l’Université Laval. Sous la supervision de Valérie Fournier et de Pierre
Giovenazzo, son projet de recherche porte sur l’écologie comportementale de
l’acarien prédateur Stratiolaelaps
scimitus pour lutter contre l’ennemi #1 de l’abeille domestique : Varroa destructor. Passionnée par la
biologie, l’écologie et l’entomologie, Sabrina s’intéresse particulièrement à l’optimisation
des services de pollinisation des cultures et à la conservation des
pollinisateurs.
Sabrina a récemment participé au concours Science, Action! du CRSNG. Allez voir son vidéo d’une minute sur les stratégies de lutte alternatives pour la conservation des abeilles. Chaque visionnement compte comme un vote!
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